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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO

Non seulement le terme est très subjectif, mais le statut s’acquiert souvent a posteriori, quand la ferveur fanatique monte en puissance avec le temps. Dans un paysage audiovisuel aujourd’hui dominé par la quantité, l’accessibilité et l’immédiateté, qu’est-ce que cela signifie d’être culte ?

Dis-moi quelle est ta série culte, je te dirai qui tu es. Le Prisonnier (hello Numéro 6), Star Trek (on est Trekkie ou on ne l’est pas), Twin Peaks (avec un café et une tarte au cerise), Charmed (« Le pouvoir des trois nous libèrera. »), H, Friends, Desperate Housewives… Ces œuvres ont laissé une trace indélébile dans la pop culture, que ce soit dans leur pays d’origine ou à travers le monde, dans le genre mainstream de la sitcom ou dans celui plus niche de la science-fiction, après avoir été annulées précocement ou au cours d’une diffusion-fleuve.


Twin Peaks et une tasse de « damn fine coffee« .

Les éléments du culte

Ce qui les propulse au rang d’objets télévisés cultes, c’est d’abord leur public dévoué et démonstratif – « Jordaaan ! » criait-on en chœur dans les années 1990 en regardant Angela, 15 ans. De la même façon qu’un gourou charismatique forme une secte (cult en anglais) grâce à ses adeptes, c’est en étant portées par la base que ces séries atteignent une réputation quasi mystique. Les fans expriment leur attachement en ligne (hier dans les forums, aujourd’hui sur les réseaux sociaux), via l’écriture de fanfictions (très prolifiques pour Supernatural et ses 15 saisons), ou en se rendant à des conventions de type Comic-Con. En cosplay Battlestar Galactica ou La Servante écarlate de préférence ! Plus qu’un simple divertissement, ces séries font partie intégrante de leur identité. Sans ce zèle, beaucoup de fictions néanmoins solides seraient parties aux oubliettes. Ainsi, la dévotion – qui dépasse souvent toute logique critique ou commerciale – est un facteur indispensable au culte.


Angela, 15 ans avec Claire Danes et Jared Leto (My So Called life an VO)

Le second élément est le passage du temps. C’est parce que les nostalgiques de Freaks and Geeks fredonnent encore aujourd’hui Bad Reputation et que les inconditionnels de Pushing Daisies attendent toujours une comédie musicale que ces oeuvres – qui ne cumulent pourtant qu’une poignée d’épisodes – sont incluses dans les tops de TV culte. Ce statut se consolide dans la durée : les années amplifient l’appréciation, surtout quand la fanbase initiale fait caisse de résonance. La prise de recul permet aussi de révéler ou de confirmer l’audace de séries souvent sous-estimées à leur sortie (parfois le marketing est à côté de la plaque, parfois le sujet est en porte à faux ou en avance sur son époque ex : The Comeback). S’il existe des séries instantanément cultes (Fleabag, Schitt’s Creek et Stranger Things récemment), la plupart sont des succès sur (et parmi) plusieurs générations (Friends, Doctor Who).

Une alchimie amoureuse

Un troisième facteur est l’inclusion de moments méta, easter eggs, destruction du quatrième mur et autres clins d’œil qui, non seulement permettent aux fidèles de se sentir inclus, mais surtout de se reconnaître entre eux (Lost, The Office). Il existe même des œuvres qui se font écho (Bunheads et Gilmore Girls) ou rendent hommages à d’autres (Community). Comme l’explique dans Vulture le créateur de Arrested Development, Mitch Hurwitz : « [Les trois premières saisons] je faisais un show qui appelait au revisionnage alors que la technologie de l’époque ne le permettait pas encore ». De nos jours, il est impossible de se réclamer du statut de culte sans une profusion de captures d’écran (GIF et autres TikTok IYKYK qui circulent en ligne) ou de parodie et références dans d’autres œuvres de pop culture. Si ces trois aspects contribuent à définir le terme, il existe aussi une part de mystère et de débats insolubles (GoT culte ou… mythique ?). Mais une chose est sûre, cela demande du temps (pour la série) et de l’énergie (pour le public). Alors, que reste-t-il du culte à l’ère de la Peak TV ?


Community – « Six seasons and a movie! »

Sachant que notre attention est désormais tiraillée dans tous les sens (environ 500 sorties aux U.S. en 2023 contre 210 en 2009) et que les séries ont peu de temps pour devenir populaires (105 séries annulées en 2023 contre une vingtaine en 2009), est-il encore possible de capturer le cœur des fans au point d’accéder à la « cultification » ? Un obstacle certain : dans le paysage audiovisuel actuel éclaté (voilà Max !), les spectateurs(trices) modernes ont tendance à cumuler plusieurs crushes envers des séries bien sous tous rapports ou à retourner voir leurs ex (feuilletons-doudous), mais pas forcément à développer de coups de foudre pour les bad boys ou outsiders qui débarquent sur l’écran. Or, il nous semble que le côté âpre, rugueux ou mal dégrossi de certaines œuvres particulièrement inventives est un quatrième vecteur du culte (The Wire, It’s Always Sunny in Philadelphia). Cette qualité est quasi absente de l’offre actuelle. Comment en est-on arrivé là ?

Un nouveau modèle à trouver

Pendant l’âge d’or télévisé du début des années 2000 (Les Soprano, Mad Men, Breaking Bad), la notion de prestige TV se consolide : comme le culte, elle est difficile à définir, mais on voit bien de quoi il s’agit. Les passerelles vers le cinéma y sont courantes, que ce soit avec l’embauche de stars (Big Little Lies), les budgets faramineux (Lord of the Rings), l’adaptation de films, le penchant pour les biopics esthétiques (Becoming Karl Lagerfeld) et l’expansion de cinematic universes (Marvel). Ce pedigree est attractif à première vue, mais la multiplication et l’uniformisation de ces marqueurs qualitatifs nous éloignent du frisson lié au culte. C’est ce que le critique James Poniewozik qualifie de « Mid televison » (la télévision moyenne) : les talents sont là, mais l’excitation peine. Parlerons-nous encore de The Regime, Ripley, Expats et Mr. and Mrs. Smith après les résultats des Emmys en septembre ?


La Casa de Papel

Cinquième critère : les séries cultes sont généralement associées à un sentiment de voyage en terre inconnue ou d’entrée dans un club secret d’initiés. À ce titre, l’explosion des plateformes de streaming est à double tranchant. D’un côté, elles nous permettent d’accéder à des œuvres à haut potentiel culte venues de tous horizons (par exemple chez Netflix : Squid Game, La Casa de papel, The OA, Sense8 et Dix pour cent au-delà de nos frontières). De l’autre, elles détruisent le plaisir de la découverte autonome avec des recommandations qui ont la main lourde (« quand la série X rencontre la série Y », les tags), le tout accompagné un marketing bulldozer (êtes-vous au courant de l’existence de Bridgerton ?). Pire, les reboots dé-cultifient certaines œuvres qui n’avaient pourtant rien demandé (Sex and The City, Hartley Coeur à vif).

Mentionnons ici aussi le cas Stranger Things, une série qui n’a même pas eu besoin de « faire ses preuves » tant elle a été manufacturée comme culte : sans dénier son originalité, elle nous présente une bande de geeks, des monstres mystérieux, des acteurs inconnus attachants ou rétro (Winona Ryder, Matthew Modine), des références culturelles transgénérationnelles – notamment les films d’horreur et de sci-fi… cultes.


The Good Place, série culte… à venir ?

Alors, à quoi cela ressemblerait, à l’ère de la Mid TV, de revenir à l’essence du culte ? Une bonne piste est le renouveau de la série high-concept (y compris en France), soit une œuvre dont le pitch intriguant et invraisemblable peut se résumer en une phrase, ex : Buffy contre les vampires (à l’époque, l’idée d’une héroïne badass c’était du jamais vu). Si l’on se penche sur le corpus des séries cultes historiques, force est de constater que le high-concept est un critère (encore !) qui semble les rapprocher, de Lost à Breaking Bad en passant par Veronica Mars et Dead Like Me. Aujourd’hui cela donne des pépites comme The Good Place, The Last Man on Earth (annulée trop tôt !), The Unbreakable Kimmy Schmidt, Severance et Dark qui ont déjà fait parler d’elles avec la dévotion qui se doit. Sont-elles officiellement cultes ? En espérant que vous n’ayez pas déjà oublié la deuxième règle… seul le temps le dira. Allez, un peu de patience.

POURQUOI LA LIGNE DE DÉMARCATION ENTRE FILMS ET SÉRIES A DISPARU (ET C’EST TANT MIEUX)
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