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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO


Si l’introduction de nos séries préférées est souvent une composition originale sans paroles, il y a aussi une tradition bien ancrée aux États-Unis d’utiliser une rengaine déjà existante. Voici comment ces refrains emblématiques se sont retrouvés sur nos écrans puis coincés dans nos têtes pour toujours.

Savez-vous quelle est la « vraie » chanson du générique de la série ado culte Dawson ? Pour les spectateurs millénials français qui ont suivi la diffusion originelle, l’ouverture de la saison 1 s’est faite au son de Run Like Mad de Jann Arden. La mélodie folk est commissionnée par les producteurs après l’échec de l’acquisition des droits du tube d’Alanis Morissette, Hand in my pocket. Utilisé pour le générique à l’international, le titre est bientôt remplacé par un extrait du second album de Paula Cole intitulé I Don’t Want to Wait qui, lui, fait partie de l’expérience de visionnage du public américain depuis le lancement de la série. Jusqu’à ce que…

IMAGE DE GÉNÉRIQUE DE LA SÉRIE DAWSON

On connaît la chanson

Lorsque l’intégrale de Dawson rejoint pour la première fois le catalogue Netflix U.S. en 2012, c’est Run Like Mad qui fait office d’intro ! En effet, faute d’avoir sécurisé les droits de la chanson de Paula Cole à perpétuité (cela revient à 30000-40000 dollars, selon le New York Times), l’autorisation de la jouer a expiré. Au moment de la sortie de la série en 1998, le directeur musical John McCullough n’avait bien sûr pas imaginé l’ampleur du marché des DVD et encore moins celui des plateformes de streaming. Surprise, outrage, renégociations vingt ans plus tard… la saga Dawson est un excellent exemple de la corde sensible associée au choix d’une chanson de générique.

La responsabilité en revient au music supervisor (directeur musical), en collaboration avec les producteurs et réalisateurs. Ce métier de l’ombre qui fait le lien entre art et business n’entre dans la liste des catégories récompensées aux Emmys qu’en 2017. Pourtant l’apogée de l’utilisation de morceaux déjà existants remonte aux années 1990-2000. Pensez à Ally McBeal (Searchin’ My Soul de Vonda Shepard), Les Soprano (Woke Up This Morning de Alabama 3), ou Les Frères Scott (I Don’t Want to Be de Gavin DeGraw). Vous êtes probablement déjà en train de fredonner ! Comme pour tout phénomène de pop culture, la tendance passe, mais ne disparaît jamais vraiment. Non seulement le facteur nostalgique, les rewatch et TikTok redonnent une seconde jeunesse à ces ritournelles, mais des séries bien d’aujourd’hui reprennent la même recette. La balade de bord de mer de Big Little Lies fait ainsi de Michael Kiwanuka, qui interprète Cold Little Heart, une vedette.

IMAGE DE GÉNÉRIQUE DE LA SÉRIE BIG LITTLE LIES

Un choix fonctionnel

Alors, sur quels ressorts s’appuie cette catégorie de génériques ? Le premier élément est fonctionnel. Si l’on retourne aux origines du médium, aux États-Unis dans les années 1930-1940, on constate que le format feuilletonnant a d’abord émergé à la radio. À l’époque, le générique était un spot de pub pour le sponsor du programme audio. Aujourd’hui, il sert à faire la promotion de la série en elle-même. Le morceau d’introduction choisi — et sa répétition à chaque épisode — permettait aussi de signaler à l’auditeur la reprise de la narration. Cette nécessité a été transposée à la télévision, surtout quand elle est allumée toute la journée. Dans The Beverly Hillbillies (1962), le banjo entêtant en ouverture sert donc à la fois d’alarme (ça commence !) et de renvoi aux origines rustiques des héros.

Il faut mentionner ici le cas, un peu à part, des chansons écrites par des artistes déjà célèbres, spécifiquement pour une série. L’exemple le plus mythique est I’ll Be There for You des Rembrandts pour Friends. Quoi de mieux que ce fameux clap clap clap pour se mettre dans l’ambiance ? La forme (un air entêtant) et la fonction (faire des personnages nos amis) se marient parfaitement. C’est pourquoi ce générique « basique » dépassera toujours une intro hautement stylisée dans notre conscience collective. De la même façon, l’ouverture de Gilmore Girls (Where You Lead avec des paroles actualisées par Carole King) colle à merveille à l’ambiance automnale et au message chaleureux de la série.

Ainsi, quand le talent des artistes sélectionnés brille, que la mélodie souligne le ton de l’œuvre et que les paroles (déjà écrites ou non) s’accordent à l’histoire, le générique devient une rampe de lancement irrésistible. Sans surprise, cette tradition se perpétue dans des œuvres feel-good plus récentes telles que The Big Bang Theory (The History of Everything de Barenaked Ladies), Community (At Least It Was Here de 88) et New Girl, qui a la particularité de faire chanter sa star (Zooey Deschanel étant actrice et compositrice), comme l’avait fait dans les années 1990 la sitcom Le Prince de Bel Air.

IMAGE DE GÉNÉRIQUE DE LA SÉRIE GILMORE GIRLS

Un choix émotionnel

Le second élément central est l’émotion. Le public comprend à travers la musique qu’il est sur le point de retrouver une histoire et des personnages qui le touchent. À quoi il faut ajouter l’excitation indescriptible — mais universelle — d’entendre un tube. Par exemple, quand Charmed remixe How Soon Is Now? du groupe légendaire The Smiths, quand Newport Beach nous emmène en California (la version de Phantom Planet), ou quand le début de l’épisode 7 de The Bear s’accompagne d’une démo de Sufjan Stevens de Chicago (la ville qui donne son âme à la série), notre cœur bat plus fort et la chair de poule nous saisit. Cette promesse de plaisir est décuplée quand les spectateurs sont des adolescents ultra-sensibles. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart des teen dramas des nineties s’ouvrent sur des airs pop-rock bien sentis. L’ambiguïté des textes ajoute parfois même une dimension sensuelle, voire sexuelle, comme dans Roswell, avec Here With Me de Dido.

Cette connexion un peu mystérieuse entre le corps et l’esprit peut également être exploitée pour déclencher des sentiments moins joyeux, mais tout aussi addictifs, surtout quand ils relèvent du domaine de la fiction : la peur, l’horreur, l’empathie pour des héros qui souffrent. À cet effet, deux séries policières iconiques, de genre pourtant très différents, créent une boucle de familiarité via leurs génériques. Dans The Wire et Les Experts, la même chanson (Way Down in the Hole de Tom Waits) et le même groupe (The Who) servent respectivement de fil conducteur émotionnel de saison en saison et à chaque nouvelle déclinaison de la franchise.

IMAGE DE GÉNÉRIQUE DE LA SÉRIE NEWPORT BEACH

un choix financier

Comme nous l’avons vu en intro, ce type de génériques s’appuie sur un équilibre financier précaire. Dans le meilleur des cas, les directeurs musicaux dénichent ou commandent une chanson au coût négligeable qui devient un succès massif. Jace Everett est au bord de la faillite quand son titre Bad Things est sélectionné pour ouvrir True Blood, une décision qui ressuscite sa carrière et donne son identité à la série Southern Gothic. Ce genre de deal a été remis en question par l’ascension du binge watching via les plateformes de streaming. En effet, le jour fatidique où Netflix introduit la fonction Skip intro (en 2017), le concept de générique perd immédiatement en visibilité et en rentabilité. Quantité d’œuvres sorties depuis se contentent d’un carton introductif en lieu et place d’un interlude musical à but informatif ou déclencheur d’émotions. Le public n’a plus la patience.

Pour les fictions qui font de la résistance, le budget assigné à l’introduction se confond souvent avec celui de la musique d’accompagnement (voir Severance et The White Lotus) ou bien il est dédié à la création de visuels abstraits mais — il bien faut l’admettre — ennuyeux (The Morning Show et The Flight Attendant). Reste quelques rares exceptions, qui combinent l’ensemble des éléments qui font du générique un moment unique de l’expérience télévisée : fonctionnalité, lyrisme, esthétique, audace. Rien que pour son intro incendiaire au son de PJ Harvey (reprise d’un titre de Leonard Cohen), la série Bad Sisters nous hante encore. Et vous, quels génériques vous font chanter, même une fois la télé éteinte ?

IMAGE DE GÉNÉRIQUE DE LA SÉRIE TRUE BLOOD

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