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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO

All the Light we Cannot See filmée à Saint-Malo, Transatlantic à Marseille, The Walking Dead: Daryl Dixon et, bien sûr, Emily in Paris dans la capitale… Ces productions d’envergure mondiale qui ont fait de l’Hexagone leur lieu de tournage principal révèlent une autre image du pays. Comment la France a réussi à surpasser son statut de carte postale télévisée ?

À l’écran, l’actrice Clémence Poésy prend une dernière bouffée de cigarette avant de s’engouffrer dans le métro. Cela pourrait être le début d’un film d’auteur français, sauf que quelque chose cloche sérieusement dans la rame qui lui passe sous le nez : elle est remplie de zombies ! Le mariage inattendu de l’univers The Walking Dead avec le pittoresque parisien (et régional) donne ainsi naissance au spin-off consacré à Daryl Dixon (Norman Reedus), qui sort le 10 novembre sur Paramount+.

The Walking Dead: Daryl Dixon – Courtesy of Paramount+

Plus classiques dans leur usage des paysages et des monuments de notre contrée, les séries historiques All the Light We Cannot See (le 2 novembre sur Netflix) et Transatlantic (en clôture de l’édition 2023 du festival Séries Mania et disponible sur Netflix) se déroulent sous l’Occupation. Des remparts de Saint-Malo aux calanques de Marseille, elles mettent en scène une France réaliste et captivante. Nous sommes à mille lieues des clichés véhiculés dans les séries Sex and the City, Gossip Girl et The Marvelous Mrs. Maisel, qui avaient brièvement posé leurs valises à Paris. Le triptyque béret-baguette-accordéon, et les quais de Seine qui représentent toute la ville, ça suffit. S’installer fait la différence. En 2019, les productions internationales basées en France ont dépensé un total de 305 millions €, montant qui a triplé en 2022 (991 millions €). Alors, à quoi ressemblent ces séries multilingues made in France ? Comment les infrastructures locales ont réussi à attirer durablement des créateurs venus de l’étranger ?

Thématiques et esthétique

L’élément déclencheur de cette nouvelle vague, c’est le succès d’œuvres bien de chez nous au-delà de leurs frontières. Sous leurs titres anglais, Les Revenants (The Returned), Engrenages (Spiral), Le Bureau des Légendes (The Bureau) et Dix pour cent (Call My Agent) explosent, en partie grâce à l’essor des plateformes qui les diffusent. Signe que leur identité française est cependant le vecteur principal de leur rayonnement, leurs remakes passent quasiment inaperçus. Ces séries ont pour point commun le fait de séduire – le glamour associé à la France reste indélébile – mais surtout de surprendre, par la puissance du récit et l’originalité des personnages. C’est également la stratégie des (co)productions étrangères qui élisent notre pays pour situer leur histoire et la tourner.

Pour créer l’étonnement, rien de tel que de confronter les attentes du public […] à un résultat moderne et sexy

Pour créer l’étonnement, rien de tel que de confronter les attentes du public (une énième saga costumée avec perruques poufs) à un résultat moderne et sexy (la série récente Marie-Antoinette, signée de l’auteur féministe Deborah Davis). Ainsi, le thriller cosmopolite Riviera, le drame historique insolent Versailles et la rom-com luxueuse Emily in Paris – qui dans sa saison inaugurale avait su brillamment jouer de la caricature – sont des cartons grâce à leurs genres audacieux. Déjà sorti aux U.S., Daryl Dixon est célébré par la critique comme le meilleur volet issu de la franchise The Walking Dead. N’espérez pas y trouver le traditionnel bain de sang, même si les zombies sont présents de Paris à Marseille, en passant par Saint-Malo et Lyon. Le principal choc est visuel, avec une esthétique envoûtante inspirée du cinéma européen. Le réalisateur britannique Daniel Percival, qui a eu à sa charge quatre épisodes en collaboration avec le directeur de la photographie italien Tommaso Fiorilli, cite David Lean, Claude Berri et Wim Wenders comme influences stylistiques.

The Serpent Queen – Courtesy of Starz

Plus les showrunners envisagent la France comme un personnage à part entière, c’est à dire comme un terrain de jeu regorgeant de trésors géographiques et d’acteurs charismatiques, plus le résultat sonne juste. The Eddy avec le couple star Leïla Bekhti et Tahar Rahim et Monsieur Spade (2024), dont la distribution fait la part belle aux talents émergents, sont deux séries qui n’ont peur ni des accents, ni des sous-titres – ceux-ci n’étant plus un frein à la diffusion internationale. L’authenticité passe aussi par la précision de la reconstitution historique. Pour sa saison 6, les équipes de The Crown se sont rendues sur les lieux du crash tragique dans le tunnel du pont de l’Alma. The Serpent Queen, le biopic consacré à Catherine de Médicis, a investi une impressionnante sélection de châteaux de notre patrimoine. La coproduction franco-italienne Germinal a été tournée dans le nord, du Vieux-Lille à la mine de Wallers-Arenberg. Quant à la série chinoise Fleurs et Brume (jamais diffusée en France), une partie de son enquête la mène dans le Morbihan !

Incitations financières

Alors, ces producteurs asiatiques seraient-ils venus d’aussi loin simplement pour admirer le château de Josselin et engouffrer une part de kouign-amann ? Oui, mais pas que. À la télévision comme au cinéma, art et argent sont indissociables. Le facteur le plus plus incitatif pour venir tourner en France est sans aucun doute le Crédit d’impôt international (C2I) du CNC, dont l’acronyme anglais « TRIP », qui signifie voyage, est très à propos. Lancé en 2009, il s’adresse aux productions d’initiative étrangère qui effectuent « leur tournage, leurs effets spéciaux ou leurs travaux de post-production en France ». Il représente 30% de certaines dépenses et, depuis 2020, un taux de 40% est applicable pour les œuvres à forts effets visuels. Selon le producteur John Bernard (The Serpent Queen) : « Les 40% changent la donne […] La France est devenue l’endroit le plus hot où aller filmer. Ce serait de la folie de ne pas emmener une série entière en France ».

La France est devenue l’endroit le plus hot où aller filmer.

Les chiffres parlent d’eux-même : le nombre de productions internationales bénéficiant du TRIP est passé de 24 en 2016 à 101 en 2023. Et si cela n’était pas déjà un excellent atout, l’appel à projets « La Grande Fabrique de l’image » du plan France 2030 vise à faire du pays un leader des tournages (y compris en studio) et de la production numérique. De plus, la volonté des plateformes de streaming de fournir des contenus locaux dans leurs catalogues a un impact fort. Les blockbusters Marseille et Lupin confirment l’appétit des abonnés pour des séries françaises instantanément distribuées à une échelle globale. La French touch c’est aussi un engagement envers les politiques de respect de l’environnement, notamment en termes de réduction de l’impact carbone.

All the light cannot see – Courtesy of Netflix

Et l’humain dans tout ça ? Comme le souligne Vincent Florant du CNC, « Le juste équilibre c’est le croisement actuel entre nos excellentes mesures incitatives, infrastructures et savoir-faire ». Dans All the Light We Cannot See, les talents français sont présents devant et derrière la caméra : des équipes techniques aux boulangers du coin, sans oublier les habitants devenus figurants pour l’occasion, c’est la toute petite commune de Villefranche-de-Rouergue (en Aveyron !) qui se transforme en plateau pour recréer le centre historique de Saint-Malo. Un boom pour l’économie locale, et le tourisme qui en découlera certainement. Plusieurs épisodes de la série Apple TV+ très attendue The New Look, consacrée à Christian Dior, ont quant à eux été réalisés par la Française Julia Ducournau. Connaissant le goût pour le gore de celle qui remporte la Palme d’or en 2021, il ne reste plus qu’à nous demander si elle fera revenir les zombies à Paris…

Mais au fait, ça se passe où et quand Sex Education ?

Stranger Things, Sex Education, Bridgerton… Et si les œuvres les plus vagues sur la forme étaient les plus incisives sur le fond ? La journaliste Marion Miclet décrypte ces séries qui entretiennent le flou artistique.

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