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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO

Alors que dans la foulée de la pandémie les séries à l’ambiance rétro, les reboots et les revivals ne cessent de se multiplier sur nos écrans avec plus ou moins de réussite, les chaînes et plateformes ont développé une nouvelle stratégie pour faire vibrer notre corde sensible. Explications.

Il suffit de regarder l’actualité TV récente pour constater que la nostalgie nous fait toujours du bien. La quatrième saison de Stranger Things, qui rassemble un joyeux pot-pourri de références à la pop culture des années 1980, fait un carton (pour rappel, la seconde partie est disponible depuis aujourd’hui sur Netflix). La saga rétro-fantastique créée par les frères Duffer a même réussi à faire caracoler en tête des écoutes la chanson de Kate Bush Running Up That Hill qui était un peu tombée dans l’obscurité (ou, devrions nous dire, dans le Monde à l’envers) depuis sa sortie en 1985. Idem pour le jeu de rôles geek, Donjons et Dragons. Sans oublier le petit coup de chaud ressenti à la vue du poster de Tom Cruise époque Top Gun dans la chambre de l’une des héroïnes de la série (l’équipe marketing du film Maverick peut leur dire merci !). Alors, comment expliquer le fait que la nostalgie est devenue, paradoxalement, la valeur la plus tendance du paysage audiovisuel post-COVID ? Quelles sont les stratégies adoptées par les chaînes et plateformes pour continuer à revisiter le passé ? Et comment éviter l’indigestion de madeleines de Proust ?

Stranger Things Saison 4 Partie 1 (Netflix)

Avantages et inconvénients de la nostalgie

Lorsqu’une série nous fait voyager quelques décennies en arrière comme Stranger Things, le spectateur est à la fois dépaysé par l’histoire qu’il s’apprête à découvrir, et rassuré par des marqueurs temporels facilement identifiables : une coupe mulet par ici, une Game Boy ou un portrait de Mitterrand par là… Entre nouveauté et familiarité, la magie des années 1980-1990 opère. À l’ère actuelle dominée par le pessimisme vis-à-vis du futur et la saturation technologique, il est réconfortant de retrouver l’innocence (certes, artificielle) du « c’était plus simple avant ».Ces œuvres sont aussi une échappatoire bienvenue après une expérience partagée de deux années de restrictions parce qu’elles font souffler sur nos écrans un vent de liberté qui semble révolu. Mais la reconstitution de ces périodes mythiques, ou plutôt du souvenir que nous en cultivons, a un coût : des décors aux costumes, en passant par la musique, les séries à l’atmosphère vintage font souvent gonfler les budgets de production.

Pour la saison en cours de Stranger Things, Netflix aurait dépensé 30 millions de dollars par épisode – un record. Or, personne n’est à l’abri d’un flop. Afin de réduire les risques financiers, de nombreux studios et diffuseurs se sont tournés vers une autre forme d’exploitation de la nostalgie. Inspirés par la popularité du revisionnage des « séries doudou » pendant le confinement, ils ont mis en chantier une quantité impressionnante de revivals et reboots. Grâce à la valeur émotionnelle qu’ils véhiculent, ces projets bénéficient d’un public conquis d’avance et servent d’appât pour capturer de nouveaux abonnés. Des titres comme Code Quantum, Bel-Air et That ‘90s Show (pas encore de date de diffusion pour la France) font ainsi le buzz depuis des mois.

And just like that… (HBO)

Ce n’est pas le seul avantage. Dans le cas des revivals, non seulement les fans sont ravis de retrouver une partie du casting original, mais cela permet aussi aux showrunners de rectifier le tir vis-à-vis de certaines erreurs de traitement qui deviennent problématiques observées à la loupe du présent. En l’occurrence pour Sex and the City, un manque de diversité dans la distribution et les sujets traités à l’époque. De ce point de vue, et malgré quelques maladresses, le revival And Just Like That… a réussi à intriguer autant la génération X, que Y, que Z. Dans le cas de reboots comme Sauvés par le gong et Gossip Girl, de nouveaux acteurs – souvent moins connus, souvent moins chers – sont embauchés. Autre économie d’échelle : l’adaptation des droits en interne. À l’inverse de Netflix qui avait payé une fortune pour avoir la permission de produire La fête à la maison : 20 ans après, la chaîne ABC a ressuscité sa propre série familiale, Les Années coup de cœur, à moindre coût. Ensuite, il ne reste plus qu’à surfer sur la force de la « franchise », en espérant que les curieux resteront au-delà du premier épisode. Ce n’est pas toujours le cas.

L’objet de mon affection

Et s’il existait une troisième stratégie, encore plus fiable, pour tirer profit de notre mémoire collective ? Un type de série qui combinerait à la fois une ambiance rétro familière et un agent central activateur de nostalgie. Bienvenue dans un genre télévisé en pleine expansion que nous nommerons « l’objet de mon affection ». Le principe ? Sonder notre passé proche pour en extirper un objet physique ou émotionnel fédérateur – tel un archéologue déterrant une capsule temporelle oubliée au fond d’un jardin. Parfois, c’est un fait divers qui a fait sensation, parfois, un moment d’euphorie incomparable. Une fois l’accroche trouvée, le plus dur reste encore à faire : écrire un scénario qui tient la route et, surtout, qui apporte un éclairage moderne et subtil sur le phénomène en question, sous peine de passer pour un produit purement mercantile. Voici plusieurs exemples d’œuvres qui ont surfé sur cette tendance avec un positionnement créatif original, prouvant que la source de la nostalgie n’est pas prête de se tarir.

  • Winning Time: The Rise of the Lakers Dynasty sur OCS (période couverte : 1979 à 1991)

Depuis l’ère « Showtime », au cours de laquelle Magic Johnson et ses compères des Lakers ont fait du basket un spectacle digne des meilleures productions hollywoodiennes, nous avons tous en tête les couleurs du légendaire maillot violet et or. Et quoi de mieux que la victoire sur le terrain d’outsiders devenus l’équipe la plus glamour au monde pour créer un sentiment de profonde communion avec le public ? Le pari de la nostalgie exaltante est donc réussi, sauf si l’on en croit les premiers concernés, qui ont crié à l’exagération et à la malhonnêteté. C’est le risque, quand on s’attelle à raconter l’histoire de monuments vivants. La réponse de HBO ? Ceci n’est pas un documentaire…

  • 3615 Monique sur OCS (période couverte : début des années 1980)

L’une des meilleures productions françaises du confinement a pour star un objet technologique finalement pas si désuet que ça : le minitel. Récit d’apprentissage hilarant, 3615 Monique suit trois étudiants paumés qui créent un service de minitel rose. Cette madeleine de Proust est particulièrement savoureuse car, comme la plupart des autres œuvres de cette sélection, elle séduit autant les spectateurs de plus de 35 ans (qui se rappelleront l’excitation d’échanger avec des utilisateurs inconnus) que les jeunes d’aujourd’hui (qui reconnaîtront les balbutiements des réseaux sociaux). La mise en scène à la fois vintage et pointue de Simon Bouisson (Stalk) est un autre atout majeur de cette pépite à rattraper si vous ne l’avez pas vue.

  • Pam & Tommy sur Disney+ (période couverte : 1994-1998)

Cette mini-série fascinante, au croisement entre biopic rock et histoire d’amour toxique, nous plonge dans les coulisses du mariage sulfureux de l’icône des années 1990, Pamela Anderson. Si l’objet dont la fiction s’empare ici est la sex-tape controversée – de sa création, à sa commercialisation illégale, à son entrée dans la pop culture – il s’agit plus largement d’une réflexion sur le droit à l’image et le sexisme institutionnalisé. Du point de vue financier, c’est un coup de maître. Alors qu’il aurait fallu dépenser une fortune pour lancer un reboot télévisé d’Alerte à Malibu, qui risquait de couler au box-office comme le film de 2017, voilà une série prestige-trash dans toute sa splendeur, bien placée pour remporter des nominations aux Emmys.

3615 Monique (OCS – Photo (c) Fabien Campoverde pour OCS – Mon Voisin Productions – Qui Vive !)

Avec ce panorama, vous l’aurez compris, le phénomène télévisé du retour en arrière n’est pas aussi innocent qu’il y paraît. La nostalgie est d’ailleurs en train de se muer en nowstalgia. L’expression, à l’origine utilisée pour décrire la popularité de la mode actuelle tournée vers les années 2000, désigne la manière dont les membres de la génération Z éprouvent de la nostalgie pour une période qu’ils n’ont pas vécue mais à laquelle ils se sentent connectés émotionnellement. Le terme s’applique à merveille au cinéma et aux séries. Alors, tenez-vous prêts, la nowstalgia finira bientôt par s’attaquer aux années 2010 pour combler notre appétit insatiable de gourmandises télévisées vintage !

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