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Présidente du Jury de Séries Mania l’an dernier, la productrice, scénariste et réalisatrice Marti Noxon a révolutionné la façon dont on raconte les femmes dans les séries avec Buffy contre les vampires, Dietland, Sharp Objects ou encore UnReal. Observatrice privilégiée de l’industrie, elle revient sur les évolutions d’un monde de création en constante mutation.

Propos recueillis par Charlotte Blum en février pour Séries Mania 2020

MARTI NoXON à Séries mania en 2019 (c) Jonathan Lelong

Comment observez-vous l’évolution de la télévision et des plateformes ?
Nous sommes à un moment charnière avec énormément de nouveaux concurrents. Dans cette bataille des titans, tous les acteurs de l’industrie doivent essayer de survivre et la pression pour sortir du lot est plus forte que jamais. La conséquence de tout ça, c’est que nous ne sommes plus dans une période d’expérimentation ou de tests sur des sujets de niche. On ne peut plus se permettre d’avoir un temps d’observation pour savoir ce qui fonctionne ou non. Aujourd’hui, il me semble que les méthodes des chaines câblées et des plateformes sont les mêmes que celles des networks : il faut être séduisant et efficace tout de suite.

Quel est l’impact sur votre travail en particulier ?
Depuis que j’ai signé avec Netflix, j’ai le sentiment d’être au cœur de la matrice. Je m’intéresse donc davantage aux technologies et à la direction que prend cette culture. Auparavant, je pouvais me lancer dans des projets avec des thématiques risquées parce qu’il y avait moins de concurrence. Ma marque de fabrique a toujours été de raconter les femmes de manière réaliste et de m’adresser directement à elles. Aujourd’hui, le choix pour ce genre de séries est pléthorique, je ne suis plus toute seule !

Ma marque de fabrique a toujours été de raconter les femmes de manière réaliste et de m’adresser directement à elles.

Avez-vous repéré une nouvelle grande tendance dans les séries ?
Je pense qu’avec l’arrivée en masse des plateformes, la tendance c’est de penser non plus pour un marché local mais pour un marché mondial, global. Elles diffusent dans le monde entier simultanément, il faut absolument intégrer cette donnée dès l’écriture de nos histoires de manière totalement organique. Pour vous donner un exemple très concret, je prévois que chaque saison de la nouvelle série sur laquelle je travaille se déroule dans un pays différent. Cela me permet de raconter comment mes personnages s’adaptent à de nouvelles cultures et de déplacer l’histoire. Je ne peux pas vous donner plus de détails sur ce nouveau projet pour le moment mais je reviens au genre surnaturel qui se prête parfaitement à cette nouvelle exigence puisqu’il ne connait aucune frontière.

Sur cette question de portée internationale, comment se placent les séries européennes d’après vous ?
C’est une autre voix, très forte, et un vrai concurrent à la production américaine car le public est habitué à regarder des séries du monde entier. J’ai d’ailleurs pu constater le niveau de qualité impressionnant de ces productions à Séries Mania, l’an dernier. Personnellement, je regarde énormément de séries anglaises et mon fils est fasciné par la série coréenne Misaeng. En tant que scénariste, découvrir cette grande diversité de productions change aussi ma sensibilité, c’est très inspirant.

La place et l’importance de la réalisation ont énormément changé ces dernières années. Vous avez senti cette mutation ?
En tant que réalisatrice, j’approche le cinéma et la série de la même façon car on attend de moi la même qualité sur les deux médiums. Il faut néanmoins trouver le bon équilibre suivant les contraintes de production de la télévision dont les plannings et les budgets sont plus resserrés. On doit aussi garder en tête que le public a un large choix de support : écran de télé, ordinateur, téléphone. Quand j’ai réalisé To the Bone, je savais que ce serait un film alors j’ai évité les gros plans. Je préfère les utiliser dans une série quand je souhaite insister sur un aspect du personnage ou un détail.

Poupée russe – Netflix

L’an dernier, à Séries Mania, vous aviez beaucoup parlé de l’importance de la diversité devant et derrière la caméra. Vous pensez que la situation s’améliore ?
Je pense que oui. Sur mon nouveau projet, mon équipe est constituée de femmes, y compris aux postes les plus élevés, avec une vraie diversité raciale. C’est très encourageant. Cela dit, j’entends toujours d’horribles histoires de domination et de discrimination tous les jours venant des couches supérieures de la hiérarchie de certaines compagnies. Bien que ce ne soit pas le cas chez Netflix. Le changement est en cours mais il est lent, ça peut être frustrant.

Quelles sont les séries qui vous ont le plus marquée dernièrement ?
Mon dernier grand coup de cœur est Poupée russe. J’aime ce genre de série très high concept, même si une seule saison m’aurait suffi. Ces dernières années, de nombreuses séries ont prouvé qu’on peut avoir une portée très forte avec une ou deux saisons si le concept, l’idée centrale, sont puissants. Je suis très curieuse de l’impact que cela va avoir sur le business. On constate qu’aujourd’hui, mis à part sur les networks, faire durer les séries n’est plus forcément un objectif, c’est une vraie révolution pour les auteurs !