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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO

Les représentations télévisées du réchauffement climatique ont toujours été dominées par le catastrophisme. Mais, aujourd’hui, de plus en plus de récits tentent aussi d’éveiller la conscience des sériephiles sans (trop) les déprimer.

À Hollywood, la crise environnementale ne relève plus que du domaine de la fiction. Deux jours après les Golden Globes, des incendies apocalyptiques ont dévasté des quartiers de Los Angeles où résident de nombreux participant·es à la cérémonie. Les séries qui abordent cette thématique ont pourtant rarement pour point de départ la réalité. Si la saison 4 de True Detective – qui fait partie de la liste des lauréat·es – se déroule en 2023 en Alaska, elle passe par le surnaturel pour dénoncer la pollution locale, au risque de faire oublier que c’est un enjeu bien réel. Quant aux éco-thrillers à la mode en ce moment, ils font allusion au réchauffement climatique uniquement en sa qualité d’élément déclencheur d’une entité incontrôlable. Que la menace soit solaire (comme dans la série belge Into The Night et la série espagnole Apagón), hydraulique (voir la série danoise The Rain et la série écossaise The Rig, dont la seconde saison vient de sortir) ou infectieuse (des parasites dans Fortitude, une bactérie dans Abysses, un champignon dans The Last of Us), la cohérence scientifique est au service du divertissement.

Survivalisme sensationnaliste

Certes, les frissons sont garantis, accompagnés de quelques considérations philosophiques sur le retour à la nature. Mais dans ces œuvres dystopiques, la responsabilité collective de la dégradation de l’environnement appartient déjà au passé. Désormais, c’est la survie individuelle qui prime. Même dans Families Like Ours, une création danoise récente qui évoque frontalement le sujet, le récit se concentre sur une poignée d’exilés climatiques dans un « monde d’après ». Extrapolations, une production Apple TV+ dont l’intégralité du casting prestigieux conduit certainement une Toyota Prius (Meryl Streep, Edward Norton, Marion Cotillard…), se positionne comme une cli-fi (climate fiction) sérieuse. Inspirée des prévisions du GIEC, l’histoire débute en 2037 et dépeint le sort de la planète si l’humanité continuait à ne rien faire (ou pas assez) pour la sauver. Grâce à son réalisme, il est possible de relier notre présent à celui de cette fresque de personnages tiraillés entre leurs intérêts personnels et leur définition du bien commun.


Families Like Ours

L’expérience de visionnage reste néanmoins éprouvante. Le pessimisme mesuré de la série est honorable, mais est-ce que cela ne gâche pas l’objectif de départ de motiver le changement ? Est-il possible d’alerter sur la crise environnementale – ou au moins d’y faire référence – tout en restant dans le domaine de la fiction aspirationnelle ? Alors qu’elles font partie d’une économie en transition encore largement polluante, les productions TV américaines ont du chemin à faire vers la normalisation de ces enjeux. Une étude du Norman Lear Center a analysé les scénarios de 37 453 épisodes diffusés entre 2016 et 2020 pour recenser les mentions du changement climatique. Seulement 2,8% contiennent des mots clés liés au sujet. Bien sûr, il existe aussi des manières implicites de soulever ces thématiques, que ce soit par la métaphore ou à travers la psychologie des personnages. Alors, comment les représentations télévisées aux États-Unis et plus près de chez nous sont en train d’évoluer vers davantage de nuance et d’optimisme ?

La caricature green

On trouve des séries qui abordent le réchauffement climatique dès les années 1960. The Twilight Zone présente un épisode sur l’insoutenable montée des températures comme une possible référence à l’âge atomique. Doctor Who parle ponctuellement de l’environnement, souvent sous la forme d’une confrontation idéologique entre des scientifiques pacifistes et des technocrates dangereux. Dans les années 1990-2000, une nouvelle vague de contenus à destination des jeunes propage un message vert simplifié : le cartoon Capitaine Planète, la série australienne Océane, la série futuriste Life Force qui se déroule en… 2025, ou encore Les Simpson avec Lisa, l’environnementaliste précoce.

La défense de l’environnement dans sa version la plus extrême fait aussi son apparition dans l’ère post-11 septembre. L’activisme (vu dans le thriller Burn Up) se radicalise au point de voir émerger le personnage d’éco-terroriste (qui commet des violences au nom de l’écologie). On retrouve ce stéréotype à la croisée des genres : la sci-fi avec Star Trek, les procedurals et même dans Desperate Housewives ! Il faudra se tourner vers l’Europe pour que les facettes de cet engagement soient réexaminées, avec la mini-série finlandaise Tellus sur une cellule controversée et la série allemande A Thin Line (sélection Séries Mania) qui suit le parcours de jumelles cyberactivistes.


Greenzo, dans 30 Rock

Sur les chaînes généralistes ou du service public, depuis quelques années les grilles de programmes se voient coloriées en vert pour la Green Week ou Earth Day, avec des résultats mitigés. Quand NBC s’attelle à la tâche à partir de 2007 cela donne le troisième type de caricature identifiée dans le podcast Volts par la fondatrice de Good Energy, Anna Jane Joyner (après l’apocalypse et l’éco-terrorisme) : l’écolo illuminé relou. Vous savez, le type de personnage qui devient obsédé par le recyclage pendant les 22 minutes que dure l’épisode. Voir Scrubs, Community, 30 Rock avec Greenzo (David Schwimmer) ou Dwight/Recyclops dans The Office. Certes, l’intention de départ est admirable, mais le résultat est souvent une intrigue déconnectée de la narration globale qui sert d’excuse pour ne pas traiter des questions difficiles.

Des outils pour diversifier les représentations

Dans les années 2010-2020, l’optimisme est toujours aux abonnés absents, mais le réalisme progresse. La crise écologique fait de la figuration ou joue un second rôle marquant dans des œuvres axées sur d’autres sujets d’actualité, que ce soit la géopolitique ou l’économie : Madam Secretary, The Morning Show, Reservation Dogs, The Politician, Succession, Grey’s Anatomy. Grâce à l’arrivée derrière la caméra d’une nouvelle génération d’auteurs sensibilisés à la cause verte, celle-ci passe même au premier plan. Pour délivrer le message avec finesse, les showrunners s’appuient sur le journalisme d’investigation (Jeux d’influence), interrogent les erreurs du passé (Chernobyl, Occupied), mettent en scène une dystopie plausible (Years and Years, The Fortress), ou mêlent survivalisme, féminisme et traumatismes transgénérationnels (The Handmaid’s Tale, The Affair S5).

À travers ces paraboles cauchemardesques – dans lesquelles l’ambivalence et la passivité sont dénoncées – nous sommes confrontés au pouvoir collectif de nos décisions individuelles. Mais, même révolté, le public ne se lève pas pour autant à la fin du générique. En effet, comme l’expliquait Cyril Dion au festival Séries Mania 2023 : « Si on montre un horizon sans cesse bouché et dystopique, on s’installe dans une prophétie autoréalisatrice ». Nous voila découragés devant le fait (presque) accompli. Comme le confirme la revue Scientific American, le choix des mots est crucial. Il faut raconter : « une histoire d’humains épanouis au-delà des combustibles fossiles ». Ça reste une uchronie, mais la saison 3 de For All Mankind imagine un futur dominé par l’énergie nucléaire propre.


Jacob Hill et Janine Teagues dans Abbott Elementary

Et si la vraie révolution en terme de prise de conscience, c’était de créer des fictions ancrées dans la vie quotidienne où s’additionnent des micro-changements positifs, sans pour autant nier les difficultés ? Quelques exemples récents : la sitcom de bureau Unstable qui a pour toile de fond les progrès de la biotechnologie ; la série feel good Ted Lasso qui dénonce un sponsor polluant ; la rom-com The Sex Lives of College Girls qui normalise l’existence de réfugiés climatiques ; le véganisme qui donne plus de points pour rejoindre The Good Place ; les businesses qui livrent à vélo dans High Maintenance et Call me Dad ; ou tout simplement les personnages de Abbott Elementary qui adoptent au quotidien des réflexes sains pour la planète.

Et ce n’est que le début. Plusieurs collectifs d’artistes et activistes se positionnent pour encourager cet élan. Le formidable playbook de l’association Good Energy (mentionnée plus haut) offre un multitude de ressources aux scénaristes éco-curieux. Sans faire la morale, ils recommandent aussi d’explorer les sentiments contradictoires liés à la crise écologique (comme l’anxiété climatique apparues dans Big Little Lies, Big Mouth ou Hacks). En France, le collectif La Fabrique des récits propose un outil similaire intitulé L’écran d’après. Le Climate Reality Check vient aussi d’être lancé. C’est une sorte de test de Bechdel green. Alors, est-ce que votre série préférée fait sa part pour l’environnement ?

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