Par Marion Miclet | @Marion_en_VO
Pour les sériephiles, la vraie rentrée des classes a lieu le 12 septembre pendant la cérémonie des Emmy Awards. Mais avec l’explosion de l’offre des contenus, à qui profite encore les trophées dorés ?
Après une distribution des prix en combinaison Hazmat en 2020, puis en comité réduit en 2021, les Emmy Awards font leur grand retour ce 12 septembre au Microsoft Theater à Los Angeles. Parmi les favoris, on retrouve cette année Succession et The White Lotus pour HBO, Ted Lasso (Apple TV+) ou encore Dopesick (Hulu). Pour la première fois, les « Oscars de la télévision » pourraient même couronner une série en langue étrangère : le drame sud-coréen Squid Game, qui a cartonné sur Netflix. Le règne des plateformes n’est d’ailleurs plus à prouver : celles-ci dépassent désormais les médias traditionnels en nombre de statuettes.
Au-delà de l’effet de surprise pour les futurs vainqueurs, l’autre inconnue de la soirée reste la courbe des audiences : le public sera-t-il au rendez-vous ? Malgré un regain d’intérêt en 2021 (les confinements liés au COVID nous ayant fait consommer plus de séries que jamais), on constate une nette baisse d’intérêt depuis plusieurs années, tendance qui reflète le déclin de l’influence des Emmy Awards parmi le grand public.
Ce désamour pourrait être lié à une certaine monotonie : les séries qui ont déjà été récompensées d’un Emmy Award sont souvent impossibles à déloger. Entre 2010 et 2014, Modern Family est le vainqueur incontesté dans la catégorie meilleure comédie. The Marvelous Mrs. Maisel est en lice sur cette même case depuis sa création en 2017. On observe également ce que l’on pourrait appeler un effet bulldozer dans les nominations, c’est-à-dire que certains show écrasent la concurrence. Pour Succession, même si on a affaire à une excellente distribution d’ensemble, la série récolte en 2022 un total de 14 nominations pour ses acteurs ! Celles-ci s’étendent du patriarche à tous ses enfants (sauf Connor, bien sûr) et incluent aussi, dans la catégorie Outstanding Guest Actor, quatre compétiteurs sur les six places disponibles. Les Emmys seraient-ils en train de se faire contaminer par le népotisme des Roy ?
Cette uniformité, alors même que nous traversons la période la plus riche et la plus mondialisée de l’histoire de la création télévisée (plus de 550 nouveautés produites aux U.S. en 2021) questionne la légitimité de ce type d’auto-célébration à Hollywood. Si la quantité autant que la qualité et la pluralité de l’offre a explosé avec la Peak TV, cela devrait-il pas se refléter parmi les œuvres ou artistes nominés et récompensés ? Certes, les Emmy Awards ne sont ni un concours de popularité ni un festival mettant à l’honneur la découverte, mais beaucoup de candidats solides ont été laissés de côté dans le palmarès au fil de leurs multiples saisons (The Wire, Gilmore Girls, ou encore Yellowstone). Et, à l’ère de Squid Game, Lupin et Pachinko, ne serait-il pas aussi temps de revoir la ligne de démarcation entre les Emmys et les International Emmy Awards ?
La cérémonie supervisée par la Television Academy a donc encore des efforts à faire en termes de diversité culturelle, ethnique, de genre… Si l’on a récemment assisté à pléthore de premières fois (il était temps !), l’édition 2021 n’a pas brillé par son inclusion : alors qu’il n’y avait jamais eu autant de nominés de couleur, tous les principaux prix ont été remis à des acteurs blancs.
Pour comprendre ces problèmes de fond, il faut revenir sur le système de vote. En 2015, le pool des électeurs jusqu’alors principalement masculin et blanc a été élargi à l’ensemble de l’Academy (plus de 20 000 personnes) et il est désormais possible de cocher parmi la liste des candidats autant de nominés qu’on le souhaite. Cela a donné lieu à quelques belles surprises (I May Destroy You), mais aussi, paradoxalement, réduit la variété des séries représentées aux Emmys : les votants n’ayant plus à choisir entre un favori incontournable et une série confidentielle, c’est cette dernière qui, au final, en pâtit. Autre conséquence de cette refonte : comme il est surhumain de voir l’ensemble des contenus diffusés en live et en streaming, les membres ont tendance à valoriser les œuvres qui font le buzz. L’Academy, consciente de ces dérives, se penche actuellement sur des solutions.
Du côté des Golden Globes, qui honorent tous les ans en janvier le meilleur du cinéma et de la télévision, l’annonce vient de tomber : la cérémonie 2023 aura lieu. Et ce malgré des audiences en chute libre, ainsi que de multiples controverses qui ont provoqué en 2021 le boycott de la Hollywood Foreign Press Association (qui a la charge de sélectionner les gagnants) par une large partie de la profession. Un scandale qui a forcé la HFPA à s’engager à mettre en place des réformes et à organiser une édition 2022 minimaliste. En admettant que ces changements inaugurent une ère de respectabilité retrouvée pour les Emmys et les Golden Globes, leur importance dans le business de la TV est-elle toujours décisive ?
Ce n’est pas la statuette dorée qui va propulser une carrière ou une série en orbite. Elle peut, cependant, donner un sacré coup d’accélérateur.
Du point de vue des interprètes et des showrunners, la plupart s’accordent sur le fait que ce n’est pas la statuette dorée qui va propulser une carrière ou une série en orbite. Elle peut, cependant, donner un sacré coup d’accélérateur. Alors qu’Uzo Aduba était prête à mettre fin à son rêve de devenir actrice, elle apprend qu’elle est choisie pour interpréter Crazy Eye dans Orange Is the New Black, un rôle qui lui vaut sa première récompense aux Emmys. Depuis, son étoile ne fait que briller. Pour Breaking Bad, le constat est plus mitigé. Aaron Paul et Anna Gunn, tous deux victorieux, ont eu des trajectoires opposées : l’une ascendante, l’autre inégale. Deux jours après le triomphe de Phoebe Waller-Bridge en 2019, l’Anglaise signe un deal juteux avec son diffuseur international, Amazon. Grâce à sa brassée d’Emmys ou grâce à son talent ? C’est le paradoxe de l’œuf ou de la poule.
Comme le veut la tradition, la cérémonie est diffusée à la rentrée, soit la période de lancement des nouvelles saisons : les spectateurs curieux tenteront ainsi leur chance avec une série tout juste primée. Dans les années 1970, la sitcom All in the Family a été catapultée en tête des audiences après avoir remporté l’Emmy. Mais l’évolution du paysage audiovisuel a, depuis, rendu ce genre de calcul incertain. Si Mad Men a doublé son public dans la foulée des ses victoires, d’autres facteurs ont joué. Le grand gagnant était surtout à l’époque le network AMC, alors en quête de respectabilité. On a observé une envolée similaire avec FX/The Shield et Netflix/House of Cards, deux diffuseurs qui n’avaient pas encore affirmé leur réputation en tant que players majeurs.
Aujourd’hui, ce sont les plateformes de streaming qui se démènent pour obtenir ce type de reconnaissance dans un marché saturé. À cet effet, elles ont bouleversé le calendrier des sorties : on assiste ainsi à un rush au printemps, afin que les favoris soient encore frais dans la mémoire des votants l’été venu. Le L.A. Times affirme même que le buzzomètre des Emmys est devenu LE référent pour mesurer la popularité d’une œuvre. Alors, serez-vous devant votre poste le 12 septembre ? On ne vous promet pas que ce sera fair play, mais vous saurez au moins quelles œuvres font tourner rond la planète télé en ce moment…