Par Marion Miclet | @Marion_en_VO
La nouvelle série Harry Potter annoncée par HBO pour 2026 agite déjà les réseaux. Qu’on la juge attendue ou redondante, cette adaptation illustre à elle seule une tendance lourde de l’industrie sérielle : la ruée vers les propriétés intellectuelles (ou IP, pour intellectual properties). Des romans aux jeux vidéo, elles n’ont jamais été autant sollicitées.
Sagas de l’été, rediffusions de succès populaires, retour d’Intervilles (!), la grille TV estivale 2025 a un air de déjà-vu. Sur les plateformes, même constat : The Hunting Wives (Netflix), Washington Black (Hulu), Butterfly (Prime), Outlander: Blood of My Blood (Starz), Alien: Earth (FX) ou Ballard (Prime) sont toutes des séries inédites adaptées de contenus préexistants – romans, films, comics, jeux vidéo… Faut-il s’en réjouir… ou s’en inquiéter ?

Dominic McLaughlin incarne Harry Potter dans la nouvelle série signée HBO Max (Aidan Monaghan/HBO)
La multiplicité des IP
Les nouvelles saisons fraîchement sorties de The Sandman (Netflix), L’été où je suis devenue jolie (Prime) et Foundation (Apple TV+) confirment leur popularité, prouvant que l’adaptation peut fidéliser un public. Pourtant, qu’en est-il des créations originales ? Si l’adaptation a toujours été pratiquée, elle est désormais devenue centrale. Selon une étude de Parrot Analytics, les IP sont bien implantées, mais pas dominantes, elles représentent « seulement » 12 % des projets produits entre 2020 et 2024… mais près de 50 % des 100 titres les plus demandés chaque année. Et côté audiences (étude Nielsen), sept des dix séries originales les plus regardées en streaming en 2024 sont issues d’IP (Bridgerton, The Boys, Reacher…). Conclusion : le public en redemande.
Alors, faut-il s’inquiéter pour les idées nouvelles ? Le vivier d’œuvres déjà publiées est quasi infini — romans, podcasts, jeux vidéo, voire jouets ! Certaines séries partent de récits imaginaires (The Walking Dead, Station Eleven, The Last of Us), d’autres de faits réels (Dying for Sex est inspiré d’un podcast). En fait, tant que les droits sont négociables, tout peut devenir série.
Pourquoi cette omniprésence ?
Depuis la nuit des temps (le cinéma muet), la littérature a toujours été portée à l’écran. Le rythme sériel se prête au découpage en chapitres (Game of Thrones, Les Anneaux de pouvoir), tout en permettant de déployer des univers à grande échelle (The Handmaid’s Tale), ou nuancer la psychologie des personnages (Normal People). Des auteurs comme Liane Moriarty, Harlan Coben ou Julia Quinn (la saga Bridgerton) sont devenus des piliers de l’offre streaming. À défaut d’originalité, les IP littéraires restent ainsi prestigieuses.
Autre facteur du succès, les IP sont des valeurs refuge pour un public à la fois bombardé de choix, et plus que jamais en quête de familiarité et de réconfort. Elles portent une charge émotionnelle qui résonne en nous, qu’il s’agisse d’un roman lu sur la plage, d’une série doudou de notre adolescence, ou du premier film d’horreur qui nous a fait frissonner. Et comme la nostalgie est à la mode, rien de surprenant à cet effet d’inflation. Au vu des chiffres ci-dessus, la curiosité de revivre une expérience passée positive, ou de rejoindre une communauté de fans déjà formée, l’emporte sur le risque de déception.

Les Bridgerton de l’adaptation en série par Netflix et Shondaland
Ça tombe bien, car l’utilisation des IP est une stratégie payante pour les studios et diffuseurs. Suite au COVID et à la grève des scénaristes, il a fallu produire toujours plus avec encore moins. Dans cette logique de rationalisation, les IP apparaissent comme des solutions prêtes à l’emploi : le pitch a déjà fait ses preuves, la trame narrative est posée, le public captif est prêt à rempiler (soit autant de nouveaux abonnés potentiels), et les économies sur le budget publicitaire sont réelles. Dans le contexte actuel de concurrence exacerbée, il est logique de valoriser des propriétés intellectuelles que l’on possède déjà (voir notre article sur la guerre des droits de rediffusion), d’où la multiplication des reboots et revivals.
Selon Parrot Analytics, c’est Disney+ qui fructifie le plus ses franchises : presque la moitié du catalogue est basé sur des IP et génère 60% des revenus en 2024. Quant à Netflix, son coup de maître fut de créer – sachant que la plateforme ne possède pas d’archives historiques – des IP internes qui portent les références nostalgiques de succès qui les ont précédées (ex : Stranger Things et l’imaginaire cinématographique des années 1980 ou Ginny & Georgia décrite par Marion Olité de l’ACS comme Desperate Housewives x Gilmore Girls x Breaking Bad).
Trouver la liberté à l’intérieur du carcan
Mais est-ce la fin de la créativité ? Pas forcément. L’adaptation d’une IP n’est pas toujours synonyme de conformisme ou d’ennui. C’est la « livraison » artistique qui compte. Les investisseurs rassurés par la réputation d’une IP accordent une plus grosse enveloppe à certains postes de dépenses qui font la différence : les décors dans Hannibal, les costumes dans Wednesday, les effets spéciaux dans The Mandalorian, le casting dans Scenes from a Marriage.
Le choix des scénaristes et showrunners est aussi crucial. La preuve : les dernières séries adaptées de jeux vidéo montrent qu’un regard singulier peut transformer une franchise. The Last of Us et Fallout sont parvenues à conquérir un public au-delà des gamers. Cette année,la première récolte 16 nominations aux Emmy Awards 2025, dont celle de la meilleure série dramatique. Derrière, des figures clés : Craig Mazin (Chernobyl) et Neil Druckmann pour l’une, Jonathan Nolan et Lisa Joy (Westworld) pour l’autre, qui ont su articuler fidélité à l’univers et liberté narrative. Chez Prime, c’est à la sémillante Phoebe Waller-Bridge qu’on a confié la tâche d’écrire le scénario de la prochaine itération de Tomb Raider. Ça promet.

The Last of Us adapte le jeu vidéo fidèlement tout en créant une narration brillante (on pleu encore de l’épisode 3 de la saison 1 !)
On retrouve d’ailleurs son collaborateur sur Fleabag, Andrew Scott, dans une série Netflix issue d’une célèbre IP littéraire : la saga Ripley de Patricia Highsmith. Le travail du showrunner Steven Zaillian (qui a remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté avec La Liste de Schindler) a été salué pour ses innovations stylistiques, qualifié de “télévision d’auteur”.
D’ailleurs plus l’IP est identifiable, plus les commanditaires ont intérêt à y attacher des talents pointus et de leur laisser une grande liberté d’exécution (Fargo, A League of Their Own) ou de changer complètement la tonalité (The Chilling Adventures of Sabrina, Better Call Saul), voire de réinventer la franchise (Andor, Wanda Vision).
Le vrai danger vient alors peut-être d’un phénomène parallèle : la volonté d’étirer tout succès récent en un mini-empire de spin-offs et de créations transmédias. De Yellowstone à Squid Game et Money Heist, peut-être qu’il serait temps de préserver la pureté de la source, avant que celle-ci ne devienne imbuvable…