Par Laurence Herszberg, directrice générale de Séries Mania
L’annonce par la Ministre de la Culture vendredi dernier des 68 projets lauréats de la Grande fabrique de l’image donne le ton : la France doit être “un leader des tournages, de la production de films, séries et jeux vidéo, de la post production et de la formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel”.
Une ambition forte à la mesure de la croissance sans précédent attendue pour l’audiovisuel. Une croissance portée notamment par les séries qui représentent une part essentielle de la consommation de vidéos sur les plateformes, elles-mêmes comptant aujourd’hui pour la moitié de la consommation de vidéos française[1]!
Mais alors que HPI fait figure d’exception avec une proposition d’adaptation aux Etats-Unis, les séries françaises vont-elles pouvoir conquérir l’international ? Elles ont des défis à relever.
Aux côtés des diffuseurs historiques, les plateformes américaines ont tout à la fois dynamisé le marché européen et renouvelé le genre narratif, créant un nouveau paradigme dont les industries françaises et européennes doivent se saisir pleinement. D’abord pour renouveler leurs audiences mais aussi pour faire émerger des séries françaises dans leurs catalogues. Toujours selon le CNC[1], les titres hexagonaux sur Netflix, Disney+ et Prime Video n’ont représenté en 2022 qu’entre 5,5 % et 18,5% de leur offre.
Un bien maigre bilan. Mais un défi à la hauteur de notre créativité et de notre savoir-faire. La France doit prendre toute sa place dans la production sérielle européenne et à plus forte raison internationale. La touche française peut s’exprimer autrement qu’à travers les décors d’Emily In Paris.
La fenêtre d’opportunité ouverte par la directive SMAD[2] apporte des moyens à cette ambition avec une manne d’environ 250 à 300 millions d’euros par an pour des œuvres audiovisuelles.
Le marché existe, ne reste plus qu’à le conquérir. Premier impératif pour les industries créatives : recruter et donc former un plus grand nombre de scénaristes, techniciens, monteurs. Dans 5 ans, il en faudra deux fois plus qu’aujourd’hui en France et en Europe.
Former plus ne suffira pas, il faut aussi former autrement pour inscrire les séries françaises et européennes en haut des catalogues.
Créer une exception culturelle des séries françaises ne peut s’imaginer qu’en opérant une véritable révolution culturelle dans l’approche des séries, en évitant la « netflixisation des séries » pour créer sa voie en s’adaptant aux spécificités des œuvres sérielles. Les processus créatifs sériels sont en effet très particuliers, ils impliquent un rythme de travail et une compréhension mutuelle entre les métiers, bien plus poussée que sur les longs-métrages. Généralement le long-métrage est un prototype, tandis qu’une série qui dure saison après saison demande de fortes interactions entre l’écriture, la production, la réalisation, la post-production et la diffusion. Il faut décloisonner les professions qui font les séries aujourd’hui, transformer les méthodes d’écriture et de production, encourager une culture commune de travail.
Ce rapprochement s’est pour l’instant concrétisé dans la figure du “showrunner” anglo-saxon, qui cumule des responsabilités artistiques, techniques et financières ; mais il appartient aux Européens de définir leur propre culture de travail. La mise en place d’un langage commun entre les métiers des séries pourra nous aider à sortir de la logique des silos, handicap récurrent de nos fictions, et à trouver notre voie. Ce décloisonnement doit irriguer les formations mises en place, ce que permet la mise en place de formations au sein d’un écosystème local puissant mêlant tous les métiers, de la production au tournage.
L’offre française de studios de tournage et de formation peine à se moderniser et reste insuffisante. Le Plan France 2030 répond à ces difficultés. Mais la formation doit bien être appréhendée dans un double rôle : quantitatif, pour répondre aux besoins du secteur bien-sûr ; mais aussi qualitatif, pour aider la filière à créer les nouveaux imaginaires adaptés aux enjeux spécifiques de l’écriture sérielle. Le défi est immense : exporter notre vision du monde et permettre à la France et à l’Europe de jouer leur rôle de soft power, comme peuvent le faire les États-Unis, la Corée, Israël ou encore la Turquie. La formation en est la clé.