S’échapper
Après des années d’une croissance un peu folle, le nombre de séries reçues par le festival se stabilise autour de 400 provenant d’une grande variété de pays. Aux côtés de l’Europe, des USA, de l’Australie et du Canada, la sélection de 2024 comprend Taïwan, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud ou encore la Lettonie et la République Tchèque qui illustrent la nouvelle maturité des productions d’Europe de l’Est grâce à l’excellence de leurs cinéastes et chef-opérateurs. Sensible depuis toujours aux rapports entre réel et fiction, Séries Mania fait également un pas cette année vers les séries documentaires.
Ces créations, pour autant qu’elles émanent de cultures différentes, se polarisent sur les registres de l’intime et de l’ailleurs, qui traduisent l’un comme l’autre une forme de retrait – du réel ou de la vie sociale. De là à y déceler un découragement face à un monde trop tendu…
Ce qui fait lien
Le succès planétaire de Succession explique-t-il l’afflux de séries « familiales » ? Apples Never Fall, Ourika, Hotel Cocaine, The Afterparty ou encore Bouchon sont des histoires de filiation. L’héritage se révèle souvent à double tranchant : les enfants tentent de s’en délester pour tracer leur propre chemin. Au travers de fratries soudées dans les difficultés perce tout de même l’idée que ces racines restent précieuses dans un environnement incertain.
Le désir et la sexualité sont également au cœur de plusieurs séries qui se font chambres d’écho de questions contemporaines. Faire un enfant toute seule dans All and Eva, s’échapper sexuellement – et légitimement – de son couple (30 days of lust), nourrir sa création artistique de son désir amoureux dans So Long, Marianne, s’aimer virtuellement et devoir réapprendre à se rencontrer dans le monde réel (Dates in real life), assister les handicapés dans l’accès à la sexualité (Extra)… Dans les séries historiques, le sexe est un mode de conquête du pouvoir comme en témoigne l’acharnement de Louis XIII à concevoir Louis XIV dans Une Amitié dangereuse. Tandis que Mary & George dépeint une bourgeoise anglaise bien décidée à convertir son fils à l’homosexualité pour séduire le roi d’Angleterre.
Par-delà la modernité
L’intelligence artificielle et le mysticisme obsèdent les scénaristes. Rematch revient à la source du combat de l’homme contre la machine en retraçant la fameuse partie d’échecs du champion Kasparov contre le premier ordinateur IBM dans les années 1980. Le Problème à 3 corps, l’adaptation d’un best seller chinois qui court de la Révolution culturelle à nos jours par les créateurs de Game of Thrones, va plus loin :elle invente une IA donnant accès à d’autres espace-temps depuis lesquels il convient de résoudre des problèmes géopolitiques trouvant leur origine dans le passé.
Sur le front des croyances, religions et sectes – qui se présentent comme d’autres manières de dépasser le réel – La Mesías décrit le conditionnement d’une femme et ses enfants par un prêtre catholique. Après avoir exploré les mondes clos juifs orthodoxes, les séries s’aventurent en terre d’Islam avec House of God, où deux Imams et leurs familles s’affrontent pour le contrôle d’une mosquée en Australie. Société distincte explore quant à elle la croyance en l’existence des Ovnis, la conviction et l’organisation de ceux qui y souscrivent, l’incrédulité des autres. Enfin une première série documentaire, portant sur la face occulte du Vatican et réalisée à partir d’archives, se voit sélectionnée à Séries Mania. Un nouveau continent, assurément.