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DJ, compositeur de musiques de films, figure de la French Touch, producteur et musicien, le touche-à-tout Yuksek signe la musique de la série En thérapie, première réalisation et production pour le petit écran du tandem Eric Tolédano et Olivier Nakache (Intouchables, Le Sens de la fête). On a allongé l’artiste rémois sur notre divan (virtuel) pour qu’il se confie sur son parcours, les coulisses de fabrication d’une B.O et ses inspirations musicales.  

La série En Thérapie (35 épisodes de 26′) est à retrouver sur ARTE le 4 février 2021, et dès le 28 janvier sur Arte.tv

yuksek

Quel a été votre parcours avant de faire de la musique pour le cinéma et les séries ?

Je suis rentré au conservatoire quand j’avais six ans où pendant dix ans je prenais des cours de piano, de solfège et d’écriture. Quand j’en suis sorti en 1994, c’était l’apparition des Rave Party qui représentaient à l’époque une communion positive autour de la House. Cette découverte m’a chamboulé. Je me suis alors intéressé aux boîtes à rythmes, aux synthétiseurs, aux samplers. J’ai eu diverses initiatives en musique électronique jusqu’au projet Yuksek en 2006. La création du label Partyfine en 2013 m’a permis de participer à la production d’albums d’autres artistes, aussi bien underground que mainstream, avec récemment Clara Luciani ou Patrick Bruel, en passant par des choses complètement obscures en techno. J’aime le grand écart.

Comment la transition s’est-elle produite ? 

Le morceau “Break Ya”, issu de mon premier album, a été utilisé dans La Guerre est déclarée (Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, 2011). J’étais signé chez Universal, je n’ai pas vu passer la demande, elle a été validée par mon manager. J’ai découvert le film par hasard avec mon morceau dans la scène clé du film, c’était une surprise incroyable ! J’ai ensuite rencontré Jérémie Elkaïm en le remerciant pour la synchro, et lui dire que si un jour ils avaient envie de travailler avec moi j’en serais ravi. Cela s’est produit pour Marguerite et Julien (2015). On était parti sur quelque chose d’assez électronique et d’anachronique par rapport à l’aspect historique. Mais quand les premières images sont arrivées, ça ne marchait absolument pas. Il fallait quelque chose de romantique et baroque, plus en correspondance avec le ton des images et des décors. Je n’avais jamais composé pour l’orchestre. Ils m’ont fait confiance pour le faire. Ça a été un vrai bonheur ! Je suis très content du résultat.

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J’AIME BEAUCOUP CETTE POSITION D’ALTÉRITÉ INTELLECTUELLE ET D’ÊTRE UN PEU DANS L’OMBRE APRÈS AVOIR PASSÉ 15 ANS TRÈS EXPOSÉ.

Comment vous mettez-vous au service d’un film ? Est-ce le scénario ou l’image qui vous inspire ? 

C’est vraiment l’image qui décide. Il n’y a quasiment aucunes musiques que j’ai pu écrire sur scénario qui ont été gardées sur le film. Je n’ai aucun problème à revoir ma copie. Je laisse mon ego de côté quand je travaille pour le cinéma. Pour l’instant, je n’ai bossé qu’avec des réalisateurs avec lesquels j’ai une totale liberté, qui n’avaient pas une idée préconçue de ce qu’ils voulaient. J’aime beaucoup cette position d’altérité intellectuelle et d’être un peu dans l’ombre après avoir passé 15 ans très exposé. 

Pour En thérapie, comment s’est produite la rencontre avec Olivier Nakache et Eric Toledano ?

Ils ont demandé à quelques compositeurs d’écrire un thème. Il n’y avait pas encore d’image, mais la série étant une transposition de In Treatment je savais ce qui allait se passer. Je n’apprécie pas forcément le principe de la compétition, mais j’avais vraiment envie de travailler avec eux, sans me mettre la pression pour autant. J’ai écrit un thème le plus simple possible, sans y croire, étant un outsider. Et il leur a plu. C’est devenu le thème de générique.

IL NE FALLAIT PAS CRÉER DU PATHOS AVEC UN ARRANGEMENT DE VIOLON SUR UN PASSAGE TRISTE.

Comment s’est passée la collaboration dans un deuxième temps ? Avez-vous travaillé avec les autres réalisateurs de la série ? (Pierre Salvadori, Nicolas Pariser, Mathieu Vadepied)

Non, les seuls interlocuteurs étaient Éric et Olivier. La musique est très peu présente dans les épisodes, elle apparaît juste en soutien de manière épurée avec quelques notes de piano. Toute la musique est basée sur le thème de générique avec des transpositions ou une déstructuration. Il y a aussi des versions rallongées. On ne le perçoit pas forcément mais la musique du générique n’est jamais la même. Parfois elle déborde un peu sur le début des épisodes, parfois elle est un peu plus courte. Sur un des derniers épisodes, lors d’une déambulation dans Paris, elle dure pratiquement trois minutes. Il est impossible de travailler concrètement sur 36 épisodes, donc j’ai écrit une bibliothèque dans laquelle les réalisateurs pouvaient piocher.

Comment la musique intervient sur les nombreuses scènes dialoguées ? 

L’idée était de raconter quelque chose entre les voix, de trouver la juste note pour ne pas altérer la compréhension du texte, ni déformer le sens du propos. Il ne fallait pas créer du pathos avec un arrangement de violon sur un passage triste. Il fallait trouver un équilibre, ne pas trop noircir le trait ni le rendre trop léger.

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Vous avez participé à une autre série, le documentaire Grégory pour Netflix, était-ce différent ? 

Oui, c’était tout autre chose. Comme c’est Netflix il y a de la musique du début à la fin. Sur 5 épisodes j’ai composé quasiment 4h de musique. C’était un travail colossal. J’ai dû commencer en amont puisque les épisodes étaient montés sur ma musique par cinq monteurs différents. Comme pour En thérapie, je composais en amont une sorte de sonothèque que j’arrangeais ensuite au fur et à mesure selon les besoins de chaque épisode. 

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J’AI TELLEMENT AIMÉ LA SÉRIE CHERNOBYL QUE JE NE ME SOUVIENS PLUS DE LA MUSIQUE.

Quelles sont vos influences et vos goûts en matière de musique de film et de séries ? 

Je ne suis pas un grand connaisseur de la musique de film, ce n’est pas une passion dans la vie. Je connais juste les classiques, surtout les compositeurs des années 70 : Vladimir Cosma, ou François de Roubaix qui est mon maître à penser. Du côté des séries, j’ai adoré After Life de Ricky Gervais, mais la musique n’a pas une grande part. J’ai beaucoup aimé le travail de Nicolas Godin sur Au service de la France, une comédie d’espionnage, ainsi que la musique de Rob sur Le bureau des légendes. Sinon en général quand je regarde une série je ne fais pas attention à la musique. J’ai par exemple tellement aimé la série Chernobyl que je ne me souviens plus de la musique. En revanche quand la musique est mauvaise, elle me choque donc je la retiens. 

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Propos recueillis par Benoit Basirico