Chaque mois, Séries Mania et Cinézik présentent 6 séries à découvrir les yeux fermés. Littéralement. Des nouveautés et une série culte qui révèlent que la musique raconte déjà tout (ou presque) de sa série : l’intrigue, la psychologie des personnages et les références de son auteur·rice. Bonne écoute !
Par Benoit Basirico, créateur de Cinézik
YOUR HONOR
Volker Bertelmann
Série américaine de Peter Moffat • 10 épisodes sur Canal+ Séries depuis le 28 janvier 2021ordon Green • Saison 2 sur Apple TV+ depuis le 8 janvier 2021
Un juge respecté de la Nouvelle-Orléans élimine une à une les preuves du délit de fuite de son fils qui a laissé à terre un accidenté mourant, fils du chef de la mafia. Cette situation cauchemardesque opposant la dissimulation à des suspicions est soutenue par une partition haletante, digne des grands thrillers. Cette saga judiciaire adaptée de la série israélienne Kvodo (2017) – et qui va donner lieu à une version française, Un Homme d’honneur, avec Kad Merad et Gérard Depardieu, diffusée sur TF1 le 22 mars – est portée par le charismatique Bryan Cranston (Breaking Bad). Volker Bertelmann, pianiste réputé pour ses compositions de piano préparé, a débuté au cinéma sur l’oscarisé Lion (Garth Davis, 2017). Il a su ici manipuler diverses sonorités. Un violoncelle obsédant épouse la trajectoire du personnage, des percussions entretiennent la tension, une clarinette basse pour la touche émotionnelle, évoquant le choc de l’enfant, le deuil de la mère, et la double relation père-fils, tandis que l’instrument fétiche du compositeur, le piano, clôture chaque épisode pour un générique mélodieux et réconfortant.
5 TITRES À ÉCOUTER
Little Birds
Anne Nikitin
Série britannique de Sophia Al-Maria • 6 épisodes sur Starzplay dès le 14 février 2021
Dans cette adaptation télévisée de la célèbre collection de nouvelles érotiques d’Anaïs Nin, Juno Temple est une jeune héritière new-yorkaise qui débarque à Tanger avec son mari, au moment du déclin colonialiste en 1955, et découvre la luxure et la jouissance. La partition va alors épouser l’émancipation de cette jeune ingénue. Le climat exotique et sensuel est retranscrit par la compositrice Anne Nikitin au moyen d’une riche instrumentation colorée : une clarinette pour la touche orientale, une harpe et une flûte pour l’hédonisme, des percussions et des voix suaves pour le trouble intérieur, ou encore des cordes pour la quête de liberté. Cette partition est une véritable réussite par la richesse de ses sonorités, jusqu’à un air de tango qui ouvre chaque épisode et invite à la danse lascive.
5 TITRES À ÉCOUTER
THE SISTER
Ruth Barrett
Série britannique de Neil Cross • 4 épisodes sur Salto depuis le 4 février 2021
L’auteur Neil Cross adapte son roman L’homme qui rêvait d’enterrer son passé pour un suspens psychologique tendu. Le récit met en parallèle deux temporalités, le passé trouble durant lequel notre héros, Nathan, est mêlé à une sombre affaire de disparition, et le présent qui le voit en ménage avec Holly, qui s’avère être la sœur de la disparue. La musique de Ruth Barrett (compositeur de la série Bodyguard récemment diffusée sur France 2) fait alors le pont entre les deux époques. Les cordes et un piano langoureux accompagnent la romance, la rencontre amoureuse et la soif de stabilité dans le couple. Des sonorités angoissantes, avec des boucles électroniques, relatent la peur du personnage d’être rattrapé par son passé. Un motif régulier se dégage, dans une version retenue (« That Night »), une version plus lyrique (« Haunting you ») ou en générique de fin un arrangement qui additionne les notes synthétiques haletantes et les cordes romantiques, comme pour incarner à chaque épisode la double vie et l’impossible rédemption.
5 TITRES À ÉCOUTER
SMALL AXE
Collectif
Série britannique de Steve McQueen • 5 épisodes sur Salto depuis le 26 février 2021
Le réalisateur anglais Steve McQueen, oscarisé avec Twelve Years a Slave, propose cette anthologie de cinq films autonomes rattachés entre eux par un enjeu politique commun : le combat des communautés antillaises dans la Grande-Bretagne raciste des années 1960 à 1980. Eminemment politique donc, cette immersion dans la communauté des immigrés caribéens de Londres passe par la présence de musiques jamaïcaines. Face au destin individuel d’un personnage qui subit le racisme, le reggae représente le destin collectif et la dimension mémorielle de cette saga. Le titre Small Axe est aussi celui d’une chanson de Bob Marley & les Wailers. Alors que pour « Mangrove », film de procès lié à la révolte des Black Panther, McQueen a fait appel à l’excellente compositrice Mica Levi (Under The Skin) avec une cadence répétée de percussions pour marquer une tension croissante, les films suivant n’accueillent exclusivement que des titres préexistants. Les standards reggae de ces années là se font surtout entendre en continue sur le second film, « Lovers Rock », puisqu’il s’agit d’un huis-clos dans un appartement transformé en fête privée clandestine. Dans cet épisode musical, les personnages dansent le temps d’une soirée. La caméra s’attarde longuement sur les corps dansant au rythme d’une compilation de titres qui deviennent des hymnes. Cette sensualité charnelle est le symbole de la résistance d’une communauté.
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WE ARE WHO WE ARE
Devonté Hynes
Série américaine de Luca Guadagnino • 8 épisodes sur Starzplay depuis le 7 mars 2021
Le réalisateur italien Luca Guadagnino, qui a connu le succès international avec Call Me By Your Name (2018), retrouve comme sujet la construction d’un désir. Ce récit initiatique est l’histoire de Fraser (Jack Dylan Grazer) qui quitte New York pour s’installer dans une base militaire en Italie où travaille sa mère (Chloë Sevigny). Alors qu’il flâne sous le soleil italien il se découvre sur le plan émotionnel et sexuel. Le personnage est assez fantasque et nonchalant. Son casque rivé sur les oreilles il observe son entourage. Tandis qu’on entend les musique qu’il écoute (notamment « The Love We Make » de Prince avec des paroles déclamant « Il n’y a que de l’amour, il y a seulement de l’amour »), le chanteur britannique Devonté Hynes (du groupe Blood Orange) signe une musique originale répétitive et solaire qui illustre les errements de Fraser. Le piano entêtant à la Steve Reich traduit les vibrations de la jeunesse et annonce une amitié fusionnelle naissante.
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Twin Peaks
Angelo Badalamenti
Série américaine de David Lynch & Mark Frost • 2 saisons en 1990, disponible aujourd’hui sur Canal+ Séries • Saison 3 en 2017
S’il est une série culte, c’est bien celle-ci ! Le grand cinéaste David Lynch retrouve une partie de l’équipe de Blue Velvet (1986), notamment ses acteurs Kyle MacLachlan et Jack Nance, la productrice Mary Sweeney, le monteur Duwayne Dunham, la chanteuse Julee Cruise, et le compositeur Angelo Badalamenti. Le ton de cette série oscille entre le thriller, la comédie, et le fantastique. La partition joue alors sur de multiples registres, accentuant le caractère morbide du crime par d’étranges ambiances tout en soulignant l’insouciance des personnages par ses sonorités jazzy. Quant à la défunte Laura Palmer, un thème lui est attribué, et la voix spectrale de Julee Cruise en est une parfaite incarnation. Les musiques basculent sans prévenir d’une ambiance mortifère à une légèreté pop, sans oublier un lyrisme contenu qui maintient en souterrain une dimension sentimentale capable de faire jaillir une émotion par fulgurances. Sur la troisième saison dévoilée en 2017 une nouveauté consiste à inviter à chaque fin d’épisode un artiste ou un groupe à se produire en concert au Bang Bang Bar. Ces moments musicaux intégrés au sein même du récit permettent d’entendre “Heartbreaking”, nouvelle composition de Badalamenti jouée par un pianiste au générique de fin de l’épisode 11, ou encore d’apercevoir Julee Cruise avec « The World Spins » qui clôture l’épisode 17.
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