Par Marion Miclet | @Marion_en_VO
À l’heure où l’on regarde de plus en plus de séries venues des quatre coins du monde, ils sont plus indispensables que jamais. Voici leurs secrets de fabrication.
On ne les voit plus et pourtant ils sont partout. Les sous-titres ont envahi nos écrans : des salles de cinéma art et essai au multilingue des chaînes TV, jusqu’aux vidéos TikTok. Même quand, a priori, on n’en aurait pas besoin. 38 % des spectateurs aux U.S. activent la fonction sous-titres ou closed captions (CC, le sous-titrage pour sourds et malentendants) quand ils regardent des programmes… dans leur propre langue (selon une étude YouGov de 2023). Ce phénomène va à l’encontre de décennies d’attitudes anti-texte à l’écran, du style « je veux regarder un truc, pas le lire », ou la variation plus intello « les sous-titres dénaturent la mise en scène ». C’est ainsi que les séries en VF ont longtemps dominé le PAF, avec de nombreuses voix restées cultes. Comme celle de Laura Blanc qui fut à la fois Sydney Bristow dans Alias et Abby Lockhart dans Urgences. Mais revenons-en à l’omniprésence des sous-titres.
Les sous-titres ne sont plus un obstacle
C’est grâce aux plateformes de streaming que les Américains, comme le reste du monde, se sont habitués à enjamber « la barrière de quelques centimètres de hauteur des sous-titres » – pour reprendre l’expression du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho quand il remporte le Golden Globe du meilleur film étranger pour Parasite. Sans eux, il aurait été impossible de découvrir et d’apprécier La casa de papel, Borgen, Dark ou Unorthodox au-delà de leurs frontières respectives. Même plus besoin d’en faire des remakes ! Au-delà de l’ouverture à des territoires de production jusque-là difficiles à explorer, les sous-titres sont aussi un outil d’inclusion. Canal+ vient par exemple d’ajouter l’option pour personnes dyslexiques. Une vraie révolution de l’accessibilité.
Ce n’est pas un hasard si Stranger Things est devenue un succès planétaire (et donc rentable). Netflix a investi dans son rayonnement hors-Amérique : la série a été sous-titrée en 22 langues. Cinq ans plus tard, la demande a explosé et le rythme a accéléré. Or il faudrait quand même compter 5 jours pour confortablement traduire un épisode de série. Avec 37 options en sous-titrage, Squid Game devient l’œuvre Netflix la plus vue dans 90 pays. Mais le travail a été bâclé : des abonnés bilingues se sont plaints de la mauvaise qualité des CC anglais. Non seulement cela ne fait pas honneur à toutes les nuances de la langue coréenne, mais le message anticapitaliste de la série est déformé.
Les sous-titres sont donc autant un business qu’un art : une extension de la voix des créateurs. Malheureusement, les fansubbers des années 1990-2000 qui ont servi à la découverte culturelle, ont nui à la réputation de la profession. C’est dans ce contexte en constante évolution que nous avons souhaité discuter avec Sabine de Andria, une autrice de sous-titrage qui exerce ce métier depuis 25 ans avec une passion évidente. Son CV reflète d’ailleurs l’évolution récente du paysage télévisé américain : À la Maison blanche, The Walking Dead, Small Axe, Mrs America…
Les sous-titres comme super-héros
La première chose à comprendre lorsque l’on choisit cette carrière c’est que le but n’est pas de produire une traduction fidèle. Comme l’explique Sabine : « Il y a une phrase qu’on entend souvent ‘Moi, je comprends l’anglais, pourquoi vous ne traduisez pas ce qu’ils disent ?’ Parce qu’on ne fait pas du mot à mot, on traduit du sens. Le sous-titrage doit avant tout servir l’œuvre ». En effet, pour une question de confort de lecture, les sous-titres ne peuvent s’afficher que pour une durée limitée, déterminée par la rapidité des dialogues et le montage. Ils ne peuvent pas dépasser un certain nombre de caractères : 17/sec. max chez Netflix , 15/sec. en général à la télévision française. On estime que c’est le nombre de caractères que l’œil et le cerveau peuvent décrypter en une seconde ! Le mot clé est donc adaptation. Ce qui est d’autant plus difficile de l’anglais vers le français, une langue moins directe.
En plus de la concision, le deuxième super-pouvoir des sous-titres est celui de l’invisibilité. Sabine le décrit ainsi : « On dit souvent entre nous qu’un sous-titrage réussi est un sous-titrage qui ne se voit pas. Ça ne veut pas dire qu’il doit être plat : il doit rendre parfaitement le sens et la saveur des dialogues, mais sans faire sortir le spectateur de l’histoire. Il doit l’accompagner, pas lui donner l’impression de lire en permanence. Cet équilibre peut être difficile à trouver, surtout dans des comédies pleines de blagues et de références, mais c’est ce qui fait tout le sel du métier ». Pensez à Friends ou Seinfeld, des sitcoms bourrées de clins d’œil à la pop culture new-yorkaise des années 1990, ou plus récemment à Succession, avec son débit mitraillette parsemé d’injures qui seraient probablement censurées sur les chaînes généralistes.
Un peu à la façon d’une actrice qui se prépare pour un rôle dans un biopic ou une série costumée, l’autrice de sous-titrage doit s’immerger dans un vocabulaire spécifique. Sabine précise : « J’aime la difficulté, devoir m’adapter à un jargon ou à un univers particulier. Je me suis éclatée entre autres sur Misfits, Manhattan, Guerre et Paix, The Walking Dead, Brooklyn Nine-Nine… je pourrais en citer beaucoup. Mais ma plus grande fierté en traduction de séries, la plus grande adéquation entre mes domaines d’intérêt (histoire, politique, société américaine) et mon plaisir de spectatrice, c’est Mad Men, que j’ai eu la chance d’adapter à partir de la saison 3 avec ma collègue Caroline Mégret ».
Les sous-titres en surchauffe
Vu le nombre d’épisodes qui sont disponibles d’un coup sur les plateformes et la demande accrue en termes de rapidité des rendus, le sous-titrage est un vrai travail d’équipe qui requiert la création d’une « bible » qui comprend par exemple les tutoiements/vouvoiements ou la traduction de certains termes récurrents, et ce pour plus d’homogénéité (toujours dans cette idée de sous-titres qui se font oublier). Les saisons sont réparties selon les numéros d’épisodes pairs ou impairs par exemple, et pour des productions très attendues, les copies de travail sont parfois « tronquées » ou floutées, ce qui ne facilite pas la tâche.
Les auteurs de sous-titrage ont bien conscience des risques de fuites, mais ces précautions loin d’être 100% efficaces et rendent leur tâche moins agréable. Comme le déplore Sabine : « Depuis quelques années, les pirates savent très bien récupérer nos sous-titres et les mettent en ligne en toute illégalité. Nous en pâtissons non seulement en termes de revenus (le piratage n’impacte pas que les majors, mais toutes les petites mains rémunérées en partie par droits d’auteur), mais aussi en termes de conditions de travail, car on nous impose des mesures de confidentialité de plus en plus strictes ».
Les plateformes ont tout changé : « L’augmentation du volume de production et la multiplication des modes de diffusion ont créé un appel d’air, aussi bien pour les traducteurs que pour les sociétés prestataires, qui n’a pas forcément amélioré les conditions. La rémunération a même grandement baissé pour les séries, si l’on tient compte de l’inflation. Car la plupart du temps, en séries, nous ne décidons pas nous-mêmes de notre rémunération, notre seule liberté de free-lance est d’accepter ou de refuser ce qui nous est proposé. La numérisation favorise aussi le travail à distance. Il était beaucoup plus fréquent, avant, d’aller en labo pour vérifier ses sous-titres avec le client et les éventuels binômes. Aujourd’hui, cette étape qu’on appelle ‘la simulation’ s’effectue de plus en plus à distance, voire disparaît complètement. Les traducteurs se retrouvent alors encore plus isolés, et perdent l’occasion d’apprendre ou de se remettre en question en confrontant leur travail au regard de leurs collègues ».
Heureusement, la création en 2006 de l’ATAA (Association des Traducteurs/Adaptateurs de l’Audiovisuel) permet de recréer des liens et de donner plus de visibilité au métier, notamment via la cérémonie des Prix pour laquelle Sabine a longtemps été membre du comité d’organisation (en 2022, les gagnants sont What We Do in the Shadows S3, Foundation S1 et Dr. Brain S1).
Alors n’oubliez pas, fans de séries, que si vous êtes capables de sauter « la barrière de quelques centimètres de hauteur des sous-titres », de binger tous vos K-dramas préférés ou de découvrir des séries du monde entier, c’est grâce à ces travailleurs de l’ombre qui vous tiennent la main pour ne pas vous prendre les pieds.