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Six mois, seulement, séparent les éditions 2021 et 2022 de Séries Mania, mais force est de constater que le rythme de la production mondiale n’a pas faibli. Parmi les tendances marquantes de cette édition, l’alignement – enfin ! – des séries françaises sur les usages anglo-saxons en termes de place conférée aux sujets sociétaux, des séries empreintes de réel, traversées par les questions d’émancipation féminine, de genre ou d’écologie.

En préambule, mentionnons que parmi les 350 séries de 50 pays différents reçues pour 2022, une part significative émane de réalisatrices, tandis que près de la moitié des scénaristes sont des femmes. Le signe que le mouvement, initié depuis quelques années avec les quotas et amplifié par une nouvelle génération mue par d’autres standards et valeurs, commence à porter ses fruits. Dans ce registre de l’inclusivité, nous observons également une présence plus importante de talents non-Blancs dans les séries françaises, et ce aussi bien devant que derrière la caméra.

Cette plus grande porosité des séries françaises à la réalité sociale se retrouve, symétriquement, dans les thématiques abordées, puisqu’à l’instar de celles produites aux États-Unis, en Angleterre et dans le nord de l’Europe, elles se concentrent sur ce qui fait débat dans l’actualité. Parfois, elles opèrent un habile détour par l’histoire, à l’image de la série Oussekine revenant sur le décès tragique de Malik Oussekine, tué par un policier en marge du soulèvement étudiant contre la sélection à l’entrée de l’université (projet de loi Devaquet, 1986). Sentinelle évoque la force Barkhane, soit près de 5 000 militaires majoritairement français, déployés au Sahel en vue de contenir Daech. La série Le Monde de demain retrace la création du groupe NTM, mais c’est, en filigrane, de la banlieue d’aujourd’hui qu’il s’agit. Tandis que Reusss (sister, en verlan), une joyeuse et surprenante comédie musicale, en donne une image positive et très combative. Certaines séries se déroulent lors d’une pandémie (En thérapie, saison 2), en auscultent les répercussions sur la vie quotidienne et les relations intimes (Sunshine eyes) ou basculent dans la dystopie comme Station eleven, où une poignée de survivants s’affairent à bâtir un monde nouveau. C’est également une série française qui, fait rare, met à l’écran un personnage intersexe (Ma Tendre Moitié), tandis que la série anglaise, burlesque et légèrement surnaturelle The baby aborde le sujet, encore malaisant dans certains milieux, des femmes refusant de devenir mères. 

Séries Mania poursuit son exploration des nouvelles terres de création avec Gold panning, venue de Chine, qui nous plonge dans sa méconnue ruée vers l’or des années 90, entre western et récit d’aventures. La série colombienne Turbia anticipe la pénurie d’eau potable dans le monde ; l’eau y est présentée comme « le nouveau pétrole », les pauvres étant contraints à ne boire que des sodas et à subir l’expropriation. Écologie environnementale dans les séries étrangères donc, mais aussi écologie mentale avec le programme court québécois Je ne suis pas un robot, portant sur la modération des propos haineux. Il révèle que les personnes en charge de visionner lesdits contenus pornographiques, violents ou racistes avant leur diffusion souffrent, ensuite, de troubles. Citons enfin la présence de plusieurs biopics dont un consacré au hors-la-loi Billy the kid, et par là même à l’origine migratoire des États-Unis. À toutes fins utiles…

Laurence Herszberg, Directrice générale de Séries Mania
Frédéric Lavigne, Directeur artistique de Séries Mania

UN FESTIVAL AUX MULTIPLES RAMIFICATIONS

Engouement des publics, confiance des professionnels, rayonnement dans les médias… Séries Mania a relevé le défi lancé, il y a trois ans, de devenir le festival le plus important du secteur à l’international. Une fierté qu’accompagne l’immense joie de retrouver Lille et les Lillois, du 18 au 25 mars prochain !

En 2021, du fait de restrictions sanitaires particulièrement douloureuses pour le monde de la culture, Séries Mania s’est tenu fin août. Nous revoilà, donc, six mois après ! L’organisation de deux éditions si proches l’une de l’autre dans le temps a certes confiné, pour nos équipes, à l’équilibrisme… Mais il n’a entamé ni notre enthousiasme critique, ni la richesse et la diversité des propositions reçues : quelque 350 séries de 50 pays différents nous ont été soumises ! Nous les avons visionnées en moins de quatre mois, observant une certaine récurrence de sujets en écho à l’actualité ou à l’histoire, autrement dit au réel. « Les grandes séries regardent le monde, et vous vous regardez quoi ? », apostrophent malicieusement nos affiches. Car d’une certaine manière, en effet, regarder des séries c’est regarder le monde.

Ce monde est malmené depuis deux ans, aussi nous sommes infiniment heureux, en 2022, et ce même s’il reste difficile à voyager depuis les États-Unis ou l’Asie, de retrouver la plus grande partie de nos invités et publics en chair et en os !

Avec ses Dialogues de Lille labellisés « événement de la présidence française de l’Union Européenne », Séries Mania a, indépendamment de sa vocation artistique et culturelle, un rôle politique : faire de la création un moteur de l’ambition française en Europe ; faire de Lille, sa métropole et sa région le centre mondial de la création audiovisuelle. Il s’agit, à partir du festival et de son réseau international, européen en particulier, de déployer un véritable écosystème des séries dans et avec le territoire lillois. Imaginons une bouture qui grandit, démultiplie ses rameaux, profite aux personnes qui vivent, étudient et travaillent dans la métropole, les Hauts-de-France autant qu’à l’industrie audiovisuelle.

Face à la demande exponentielle d’histoires à raconter, de séries, de talents, Séries Mania a d’ores et déjà créé, au cœur même de la métropole lilloise, une école européenne. Le Séries Mania institute comporte trois branches répondant à trois besoins bien précis du secteur : le programme eureka series forme, en anglais et durant trois mois, des scénaristes européens de haut niveau ; un partenariat a été conclu avec Sciences po Lille pour donner une formation solide aux futurs cadres de l’audiovisuel ; enfin, le tremplin, dont la première promotion devrait voir le jour en octobre 2022, permettra à une vingtaine de jeunes éloignés de l’emploi d’acquérir les savoir-faire propres aux métiers techniques et du scénario. 

Cette ouverture de Séries Mania sur le monde qui l’entoure se traduit également par la mise en place de résidences, réservées à des cinéastes du continent africain ou d’Israël qui présenteront leurs projets de séries lors du Forum professionnel du 22 au 24 mars. Elle reflète, enfin, la programmation du festival : des séries toujours plus inclusives, politiques et, parfois, engagées. Ce grand moment du festival, cette semaine durant laquelle le cœur de Lille bat plus fort reste ainsi celui du partage de nos valeurs autant que de notre goût immodéré des séries, des surprises qu’elles réservent et des questions qu’elles posent. Il est cette année, de surcroît, celui du plaisir retrouvé de nous côtoyer, de nous divertir, de faire la fête.

Laurence Herszberg, Directrice générale de Séries Mania
Frédéric Lavigne, Directeur artistique de Séries Mania