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Par Margaux Baralon | @MargauxBaralon

À l’heure où tout le monde a sa série doudou et où les heures de visionnage agissent, sur certains spectateurs et spectatrices comme un baume au cœur, est-on en mesure de prouver que nos épisodes préférés nous font du bien ? On en a discuté avec Christophe Debien, psychiatre au CHU de Lille.

Pour certains, rien ne vaut un (re)visionnage de Friends. Pour d’autres, ce sera plutôt The Office ou, en ce qui concerne l’autrice de ces lignes, un petit épisode de Desperate Housewives. Rassurantes, enveloppantes, doudou, les séries sont souvent considérées par leurs fans comme un bon moyen de garder (ou retrouver) le moral. Mais est-ce que cela fonctionne vraiment ? Car par ailleurs, la fiction est parfois accusée de contribuer à exacerber la violence (après la diffusion de la première saison de Squid Game, le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer, s’était inquiété des jeux dans les cours d’école qui imitaient ceux de la série), et le binge-watching de participer à l’abêtissement et l’isolement, selon plusieurs scientifiques qui comparent cette pratique à une addiction.

Selon le Dr. Christophe Debien, psychiatre au CHU de Lille, grand amateur de séries et auteur de Nos héros sont malades, paru en 2020 aux éditions Humensciences, le premier effet bénéfique à tirer des séries vient de la capacité d’identification aux personnages. « Ce mécanisme permet, en fonction de ce qui arrive aux protagonistes dans les séries, de ressentir des émotions. Souvent, on emploie l’expression ‘je suis rentré dedans’ pour dire qu’on a bien aimé une série. Cela signifie en réalité qu’on a ressenti ce que ressent le personnage. » 

Même les émotions négatives peuvent faire du bien

Or, éprouver certains sentiments fait du bien. En 2018, Martin Seligman, chercheur en psychologie positive à l’université de Pennsylvanie, a confirmé les résultats d’une précédente étude sur le sujet. Selon lui, éprouver des émotions positives serait la composante de base du bien-être. D’où le fait que regarder une comédie, par exemple, nous plonge dans un état délicieux : comme le rappelait en 2016 une méta-analyse compilant les résultats de nombreuses études scientifiques indépendantes, le rire permet de sécréter des endorphines, également surnommées les hormones du plaisir, mais aussi d’atténuer le stress.


Quoi de mieux qu’un épisode de Brooklyn Nine-Nine pour relâcher la pression ?

Est-ce à dire que seules les séries feel good comptent et qu’il vaut mieux privilégier Veep ou Community à Squid Game ou The Last of Us pour se sentir bien ? Pas forcément. « Ce qui est génial avec les séries, c’est qu’on peut tout ressentir, même de la peur, dans un cadre que l’on maîtrise, avance le Dr. Debien. C’est-à-dire sur un canapé, avec toujours la possibilité d’éteindre. » Les drames aussi ont leurs bienfaits, comme celui de développer l’empathie. Selon une étude publiée en 2015 dans la revue spécialisée Psychology of Aesthetics, Creativity and the Arts, des spectateurs qui avaient dévoré Mad Men ou À la Maison-Blanche étaient capables de mieux comprendre les émotions des autres par rapport aux gens qui n’avaient pas regardé ces fictions. Moralité : bien que ce ne soit pas franchement une expérience comique, essayer de comprendre ce que traverse le personnage de Don Draper, héros de Mad Men, pendant sept saisons, permet aussi de développer des sentiments très positifs… et très utiles dans la vraie vie.

S’identifier aux personnages en difficulté fonctionne

Dans le cadre de ses activités professionnelles, le Dr. Christophe Debien s’est d’ailleurs intéressé à ce mécanisme d’identification sur des sujets difficiles : les pathologies mentales. Et là aussi, cela fonctionne. « La fiction a moins d’impact qu’un témoignage réel mais peut malgré tout avoir des effets très positifs, affirme-t-il. Évidemment, cela dépend de ce qu’on regarde : si une série montre que tous les patients schizophrènes sont des meurtriers, cela ne fait pas du bien. Mais pour des personnes en crise suicidaire par exemple, voir des personnages qui traversent la même chose est bénéfique. » 


Mental

Depuis plusieurs années, nombre de fictions se sont attachées à dépeindre les troubles mentaux de façon moins caricaturale, comme Mental, disponible sur France TV Slash, qui suit des adolescents internés dans une clinique pédopsychiatrique, ou Atypical, une comédie autour d’un jeune garçon autiste qui cherche l’amour. Pour Christophe Debien, voilà « une bouffée d’oxygène sur une maladie très lourde, sur laquelle on raconte beaucoup de bêtises ». Avant cela, le personnage principal des Soprano entamait une thérapie. « Cela fait du bien de voir cette représentation réaliste de la dépression, d’assister aux conversations que Tony peut avoir avec sa psychiatre », confirme notre psychiatre. Quant à Carrie Mathison, l’héroïne de Homeland, elle a montré qu’une personne souffrant de troubles bipolaires pouvait tout de même mener une carrière et une vie sentimentale de front. 

Les vertus du dialogue social

Pour l’auteur de Nos héros sont malades, l’autre vertu des séries est à chercher du côté de leur « fonction sociale ». Autrement dit, de leur capacité à susciter des débats passionnés. Il suffit de se souvenir des conversations interminables nées pendant plusieurs années après la diffusion de chaque nouvel épisode de Game of Thrones le lundi… « L’intérêt, c’est d’en discuter à la machine à café. On se rapproche de gens auxquels on n’aurait pas forcément parlé, et c’est d’autant plus fort qu’on a ressenti les mêmes émotions. Le principe est le même que dans les salles de concert : une communion se met en place autour d’une œuvre. Cette fonction de dialogue social fait beaucoup de bien ». Et là encore, il n’est pas nécessaire que la série soit forcément joyeuse et légère pour que s’enclenche un rapprochement, parfois entre des générations qui, autrement, partagent moins de choses. « Si on prend par exemple Thirteen reasons why, qui aborde frontalement la question du suicide, l’intérêt pour des parents de la voir, c’est qu’ils pourront en discuter avec leurs ados, et établir un dialogue », pointe Christophe Debien. 

Des sitcoms feel good aux drames politiques et psychologiques, quels sont les bienfaits (ou non) des séries sur la santé mentale ?

On se souvient des débats parfois intenses à la sortie de la saison 8 de Game of Thrones

Mais les séries n’ont-elles que des effets positifs sur le bien-être ? Il suffit d’une recherche Google pour se convaincre du contraire et voir les dizaines de résultats d’études sur les liens entre dépression, anxiété ou solitude, et binge-watching. Le fait d’enchaîner les épisodes de séries est considéré avec beaucoup de sérieux par la communauté scientifique, avec des études menées de la Pologne à Taïwan, en passant par l’Italie, le Portugal et même le Pakistan. Quant aux médias, ils n’aiment rien tant que se faire l’écho de résultats alarmants. À y regarder de plus près, il existe bien un lien. Prenons par exemple une étude de 2017 publiée dans la revue Media Watch par une chercheuse dubaïote. Celle-ci a observé une corrélation notable entre le binge-watching et la présentation de symptômes dépressifs. Mais elle n’en conclut pas pour autant que le premier entraîne les seconds. « La dépression peut conduire la personne à tenter d’échapper à sa condition en regardant plus de contenus qui relâchent le stress », écrit-elle.

Le binge-watching, un symptôme plus qu’une cause

Le Dr. Christophe Debien ne dit pas autre chose. « Il est très clair que quelqu’un qui passe son temps devant les séries jusqu’à en oublier de manger et de dormir, c’est inquiétant. Mais est-ce l’activité en elle-même qui produit ce comportement ? Cela va rarement dans ce sens-là : une activité exclusive est souvent le symptôme de quelque chose d’autre. On la prend pour compenser et ne pas penser à autre chose. » Ce rôle d’échappatoire des séries a d’ailleurs été beaucoup observé pendant le Covid-19, à l’instar d’une étude italienne qui conclut qu’on « peut raisonnablement partir du principe que regarder des séries a nourri l’esprit des spectateurs avec des mondes différents, et les a donc détournés de la détresse liée à la pandémie »

Et si beaucoup de personnes choisissent de voir et revoir leurs séries préférées pour s’évader, c’est parce que la répétition a des vertus insoupçonnées. La fiction déjà connue permet de se lover dans des sentiments déjà éprouvés, que l’on sait donc agréables, et cela participe à construire un cadre rassurant, explique, explique Robert Kraft, professeur de psychologie cognitive, au média Psychology Today. Mais la série « doudou » déclenche aussi une « nostalgie thérapeutique » « On re-regarde de vieilles séries parce qu’elles nous font revivre un moment dont on se souvient avec plaisir. Elles nous placent dans un autre monde, pas simplement grâce à leur intrigue mais aussi dans le fil de nos propres vies. On s’immerge dedans en se souvenant de nos existences associées à cette série. » La prochaine fois qu’un visionnage de votre série doudou vous tend les bras, inutile donc de résister. Tant que vous n’en oubliez ni de dormir, ni de manger, ni d’avoir une vie sociale, il n’y a que du bon à en tirer !

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