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Par Marion Miclet | @Marion_en_VO

Attention, cet article est inspiré de faits réels ! De The Jinx (2015) à Une amie dévouée (2024), voilà près de dix ans que nous sommes fasciné·es par ces récits qui visent à retranscrire la réalité. Mais entre fantasme et investigation, comment la mise en scène du réel s’est-elle réinventée pour séduire la génération actuelle ? Et comment le documentaire et la fiction, deux genres autrefois opposés, s’inspirent-ils mutuellement ?

En amont d’Halloween, Netflix a sorti la dernière création de Ryan Murphy Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menéndez. Dans ce drame inspiré de faits réels, nous suivons deux frères qui auraient décidé de tuer leurs parents après avoir regardé le téléfilm Billionaire Boys Club, également inspiré de crimes avérés. Quand la réalité dépasse la fiction. L’obsession du public pour le true crime et autres histoires vraies ne date pas d’hier, mais elle a atteint aujourd’hui des proportions telles que l’on se retrouve avec deux variations hybrides : la série documentaire sensationnaliste et le drame sérieux basé sur la vie de personnes existantes.

Décliné au format docu-série, le documentaire revient en force

Il fut un temps où les œuvres documentaires étaient synonymes de rigueur académique. Dans les années 1990-2000, des sorties scolaires sont organisées pour aller voir Être et avoir et Microcosmos, qui nécessite 15 ans de recherches et 3 ans de tournage. Ces films nobles, parfois un peu ennuyeux, font le circuit des festivals et proposent  un regard sur nos sociétés, sinon objectif, du moins nuancé. . Mais ce genre d’événement cinématographique est devenu l’exception, tandis que la règle actuelle est plutôt de cliquer sur le premier titre intriguant des  Top 10. Entre Worst Roommate Ever et Ashley Madison : Sexe, mensonges et scandale, il ne vous reste plus qu’à choisir votre piège-à-clic favori !


Image promotionnelle The Jinx, saison 2, série documentaire emblématique du genre sur Netflix

Une abondance confirmée dans les pages du Hollywood Reporter : le nombre de créations originales documentaires disponibles en streaming a augmenté de 77 % entre janvier 2019 et juillet 2022, tandis que l’appétence des Américains pour ces contenus a fait un bond de 186 %. On y apprend aussi qu’en 2021 le catalogue de Netflix contient 19 % de documentaires et docu-séries, 16 % chez Amazon et 34 % pour Disney+/National Geographic. La France accompagne également ce boom, avec la mise en place par le CNC de la commission des aides à l’écriture et au développement de séries documentaires, présidée par Agnès Pizzini (Grégory, L’Affaire d’Outreau). Et même côté Séries Mania, le Festival ajoute depuis 2024 des séries documentaires à sa sélection officielle et Séries Mania Institute vient de lancer une formation dédiée à la production de séries documentaires.

Cette ascension a entraîné un renouveau des pratiques documentaires qui s’appuient autant sur le versant historique du genre (cinéma-vérité, journalisme d’investigation) que sur la puissance du rythme sériel (suspense, émotions, surprises). Le tournant est amorcé en 2015 avec la sortie de The Jinx (HBO), Making a Murderer (Netflix) et The Staircase (HBO).. Le docu-série devient une commodité recherchée, immersive et addictive. Dans ces trois œuvres novatrices, les showrunners suivent des affaires sensibles et invitent les spectateurs à mener leur propre enquête. Les outils de la fiction y sont déployés avec efficacité : insertion de cliffhangers, mise en scène (re)travaillée, création d’antihéros complexes et de francs méchants. Si la fin de The Jinx reste un moment de télévision légendaire, les documentaires qui s’engouffrent ensuite dans la brèche du récit feuilletonnant n’ont pas toujours le même potentiel d’ébahissement.

À la frontière du réel

Cela pousse nombres de productions récentes vers deux types de surenchère. D’abord, comme avec le binge watching la rapidité prime, le formatage devient l’outil de travail privilégié. Cette vidéo présente un pastiche hilarant de l’esthétique standardisée des docu-séries signés Netflix. Deuxièmement, et toujours pour répondre à cette demande exacerbée, les plateformes produisent souvent in-house (sans passer par des boites de prod extérieures). En conséquence, elles vont chercher les abonnés là où ils sont (en consultant leurs données algorithmiques), plutôt que de les faire sortir de leur zone de confort. On se retrouve ainsi avec des sujets de niche ultra-représentés : le cheerleading avec Cheer et Dallas Cowboys Cheerleaders, les sectes avec The Vow et Escaping Twin Flames, les divorces acrimonieux avec Allen v. Farrow et Depp v. Heard, les frasques des uber-riches avec L’Affaire Bettencourt et Madoff et la nostalgie des années 1990 avec The Super Models, deux docu-séries sur les Beckhamet Raël : Le prophète des extraterrestres


Daniel Zagury, le psychiatre « star » de la série documentaire Insoupçonnable sur France TV

Les dérapages et autres manipulations sont inévitables. Il existe même un documentaire (what else?) qui se penche sur le parcours des sujets après le tournage, ou comment la médiatisation associée à leur participation peut causer des traumatismes. Heureusement, l’emprunt aux procédés de la fiction aide aussi les spectateurs à prendre conscience que cette nouvelle vague de docu-séries relève autant du domaine de l’information que de celui du divertissement. D’ailleurs, plus le protocole est travaillé et explicite, plus il est possible de toucher à la vérité. Dans Insoupçonnable (sélection Séries Mania 2024), c’est via le prisme d’un psychiatre dirigé comme un acteur que les showrunners retracent le parcours du tueur en série François Vérove. Le phénomène DJ Mehdi : made in France est « davantage un thriller musical qu’une biographie », selon le réalisateur Thibaut de Longeville qui a commencé ses recherches dix ans avant la diffusion.

L’adaptation d’histoire vraies à la rescousse

Ces échanges fructueux vont dans les deux sens : l’adaptation est devenue terrain d’expérimentation fiable pour dépeindre la réalité. Introduite par l’incontournable formule : “toute ressemblance avec des personnes…”, les histoires vraies passées au filtre du drame offrent au public, comme aux sujets dépeints, davantage de protection. Que ce soit dans la véracité des faits relatés que dans leur mise en images. De plus en plus sollicités, les coordinateurs d’intimité assurent ainsi le réalisme, comme le bon déroulement, des scènes de sexe difficiles (Unbelievable, It’s A Sin). Quand il s’agit de portraits de personnages charismatiques détestables tels qu’Adam Neumann (WeCrashed), Elizabeth Holmes (The Dropout) ou Anna Sorokin (Inventing Anna), la fiction permet une caricature plus claire, et jouissive ! 


Trois actrices pour interpréter le règne d’Elisabeth II dans la série The Crown sur Netflix

Le choix de la fiction est souvent soutenu par un travail journalistique de fond. Par exemple, la série Une Amie dévouée qui sort le 11 octobre sur Max est adaptée de l’enquête d’Alexandre Kauffmann, La Mythomane du Bataclan. Grand nom du reportage de société aux États-Unis, New York Magazine a vendu les droits de quantité de ses articles à la télévision. Quant à The Crown, elle fait appel à des historiens depuis son lancement et certaines reconstitutions sont aussi minutieuses que n’importe quelle émission de la BBC. S’il n’est pas nécessaire de nous rappeler que les scènes qui se déroulent dans l’intimité de la famille royale sont inventées, la série de Peter Morgan a sans aucun doute le mérite d’atteindre une intimité authentique qu’un documentaire ne pourrait jamais capter.

Spoiler alert : Comment le spoiler est devenu un élément incontournable de la culture série ?